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PUBLICISTES DE LA FRANCE.

dis pas qu’il ne s’y mêlât pas quelque plaisir de vanité ; comment n’en aurait-il pas eu à se montrer si pénétrant, si désintéressé, si universel ? Carrel aimait à produire de l’effet, mais non à tout prix, ni devant toute sorte de gens, ni pour être loué tout haut d’y avoir réussi. Avait-il lu dans vos yeux qu’il était écouté et compris, c’était assez : un charmant sourire vous témoignait que vous aviez trouvé la bonne manière de le louer. Des complimens même sincères, dans la formule ordinaire, le gênaient : il y a eu peu d’hommes inspirant plus d’admiration autour de lui et une admiration plus réservée.

Ce fut la lutte de cette intelligence si souple avec un besoin irrésistible d’action qui fit la gloire et le supplice de cette vie si tôt terminée. On a cité de Carrel, au lit de mort, un mot déchirant : « Ils m’ont enfermé dans une impasse. » Plusieurs de ses amis nient qu’ils l’aient dit. Pour moi, que des devoirs, odieux alors, retenaient à Paris, mais qui les aurais foulés aux pieds pour avoir la triste douceur de presser sa main mourante, si je n’eusse cru fermement que la dernière heure d’une si noble créature ne devait pas sonner si tôt, il m’a été refusé d’entendre ses paroles dans ces jours suprêmes. Mais, si le mot n’est pas vrai, il a paru vraisemblable. Il était sur les lèvres de tous ceux qui suivaient la vie de Carrel, et auxquels il avait permis de voir de près ce combat où sa passion se débattait contre son intelligence et où il essayait de résister à des faits qui le serraient à la gorge, qui l’étouffaient, qu’il reconnaissait plus forts, plus rationnels, plus sensés que ce qu’il voulait y substituer. Mais qui l’avait poussé là ? Quels hommes aurait-il désignés dans cette parole désespérée ? Les plus ardens de son parti l’ont renvoyée à certains hommes du gouvernement ; ceux-ci la leur renvoient. Ce ne sont tout-à-fait ni les uns ni les autres. Seulement les premiers par leur fougue et leurs erremens révolutionnaires, et les seconds par l’exagération dans la résistance, ont été tour à tour complices de sa passion, plus forte que toutes les impulsions du dehors. Qui l’avait enfermé dans l’impasse ? Cette passion. Qui lui faisait voir que c’était une impasse ? Son intelligence, quelquefois forcée d’obéir à sa passion, mais plus souvent maîtresse, et toujours à la fin. Le courage de Carrel n’était pas de ceux qui ne voient pas le danger. Nul ne le voyait mieux ni de plus près, ni d’un œil moins troublé. Nous admirions son sang-froid, surtout dans les circonstances graves, soit qu’il se recueillît dans le tumulte, ou qu’il dominât les discussions orageuses en baissant la voix. Or, qu’est-ce que le sang-froid, sinon le courage qui juge ? Une vie d’action et de dangers utiles