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draps et en coton, léguant à leurs héritiers la première dignité de l’état, au même titre que les descendans des chefs de la conquête normande transmettent leur siége et leur blason à leurs petits-fils ? Que serait un pareil sénat dès la seconde génération ? Ne rit-on pas rien que d’y penser ? Si notre pairie viagère se présente aujourd’hui avec un caractère différent, n’est-ce pas parce que presque tous ses membres ont individuellement illustré leur vie dans ces carrières laborieusement poursuivies sous le soleil ardent des révolutions ? Qu’on ne cite point les tentatives de Napoléon pour reconstituer l’aristocratie : ces tentatives, comme toutes les difficultés hardiment affrontées, constatent bien plus la forte volonté de l’homme que sa perspicacité. Sous Napoléon, tout l’empire vivait par l’empereur, toute l’aristocratie était dans les rayons lumineux qui émanaient de sa personne. Lui mort, une immense débâcle se fût opérée, et le siècle eût repris son cours, que l’empereur suspendit sans parvenir à le changer. Et cependant Napoléon accumulait les années ; dans sa course héroïque, il vieillissait ses généraux comme sa dynastie, en cachant sous des lauriers les récens écussons des uns, et en dotant l’autre de multiples couronnes. Était-ce d’après ces jours d’exceptions et de prodiges qu’on pouvait raisonner en constituant notre monarchie bourgeoise, le gouvernement de la paix et du travail, appelé à polir de plus en plus cette surface où les saillies sont déjà si rares, que tout semble s’y confondre dans une terne et monotone unité ? Notre prétendue aristocratie constitutionnelle aurait ressemblé à celle de l’Angleterre comme les nobilissimes de Constantin ressemblaient aux sénateurs de Rome républicaine.

Comment songer, d’ailleurs, à créer un tel pouvoir lorsque son type s’efface et disparaît du sein de la Grande-Bretagne elle-même, où des intérêts nouveaux, qui sentent leur force, réclament impérieusement aujourd’hui, non le droit de faire un contrepoids illusoire à l’ascendant de la chambre héréditaire, mais celui de dominer le gouvernement, parce qu’ils dominent la société elle-même ? La pairie de la restauration ne vécut quinze ans qu’en s’abritant derrière le manteau de la pairie d’Angleterre.

C’était sans doute chose honorable de résister aux exigences électorales, et de combattre en face ce qu’on croyait un préjugé. Mais n’était-on pas soi-même sous l’empire de la prévention qu’on imputait au pays ? N’appliquait-on pas des théories générales à une situation qui ne les comportait point ? Ne faisait-on pas de la politique d’abstraction, au lieu de s’accommoder aux réalités ? On s’étonne