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DU POUVOIR EN FRANCE.

naison transitoire peut-être dans la pensée qui la conçut, mais qui n’en était pas moins urgente.

M. Laffitte n’était suspect ni à la révolution, qu’il avait long-temps fomentée, ni à la dynastie nouvelle, dont l’établissement réalisait sa plus vieille utopie. D’un autre côté, celle-ci n’avait pas à redouter de sa part de résistances sérieuses au plan politique destiné à lui concilier l’Europe, et à faire rentrer graduellement le mouvement de 1830 dans les bornes où l’on nourrissait l’espérance de le ramener. Sa carrière politique ne révélait, en effet, ni cet entêtement théorique, ni ce démocratisme sévère qui eussent pu engager la monarchie hors des seules voies où elle entendît marcher. Si l’opposition de M. Laffitte à l’ancien gouvernement avait été constante et vive, c’est que cette opposition partait de tout ce qu’il y a de plus intraitable et de plus persistant chez l’homme, l’amour-propre et la vanité. S’il avait, l’un des premiers, provoqué le changement de dynastie, il est licite de croire qu’il agissait en cela sous une impression analogue, beaucoup plus que sous l’autorité d’une haute conviction philosophique. Doué de toutes les qualités qui concilient l’estime et l’attachement dans la vie privée, d’un commerce généreux et facile, M. Laffitte n’a guère manifesté sa pensée politique que sous l’empire d’irritations personnelles. Toujours dominé par les évènemens, il s’est rarement montré lui-même ; et, facilement oublieux de ses actes et de ses paroles, il a imputé à ses successeurs le tort d’avoir réussi là où il avait échoué.

Avec peu d’aptitude gouvernementale et un dévouement incontesté, ce ministre ne pouvait manquer de s’incliner devant une volonté plus ferme, une expérience plus sûre que la sienne. Très propre à négocier avec l’Europe en même temps qu’avec la révolution, il se présentait comme un bouclier entre celle-ci et le trône, en laissant à la royauté toute son action directe et personnelle. Sous cette administration, à un bien plus haut degré que sous aucune autre, s’est exercée ce qu’on est convenu d’appeler la présidence réelle du conseil, action excentrique sans doute, lorsqu’on la juge, Delolme à la main, selon la rigueur des principes du gouvernement représentatif ; action nécessaire pourtant, il faut le dire, et dès-lors très légitime, dans une situation exceptionnelle et décisive. Lorsque Guillaume III quittait à chaque instant son royaume pour se transporter en Hollande ou en Flandre, selon les évènemens de la guerre ; lorsqu’il dressait des plans de campagne, prenait des villes et commandait des armées, il ne faisait pas en cela le métier de roi constitutionnel à la