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les hommes contre les choses, et les sacrifiant sans hésitation, et, si l’on veut, sans scrupule, mais pouvant toujours donner pour légitime excuse le terrible enjeu qu’elle apportait elle-même dans cette partie désespérée, où il allait de la vie en même temps que du trône, du sort d’une nation aussi bien que de celui d’une famille !

Ce ministère du 11 août n’était, au fond, qu’une longue affiche, où, sans attributions spéciales, figuraient des noms divers et nombreux, comme pour donner à tous des espérances et des garanties. Mais lorsque la révolution parlementaire fut close, lorsqu’il fallut faire face à l’émeute et aux sociétés populaires, ces quartiers-généraux de la sédition, puis se préparer à défendre quatre têtes dont la chute eût entraîné celle du nouveau trône, on dut chercher à rendre le pouvoir plus fort en lui imprimant de l’unité et en couvrant ses actes du nom d’un homme d’une popularité vierge encore, d’un dévouement non équivoque à l’œuvre que, plus qu’un autre, il avait contribué à fonder, homme doué, d’ailleurs, d’un caractère plus propre à recevoir des directions qu’à en imprimer.

Jamais un gouvernement régulier ne se fût établi en France, si son premier acte n’avait été de faire une question fondamentale pour lui-même du salut d’infortunés dont une révolution avait déjà si cruellement expié les fautes. Cette soif du sang des hommes, après que le sort avait prononcé sur les institutions elles-mêmes, avait quelque chose de si bassement atroce, qu’un pouvoir qui, par impuissance ou lâcheté, eût laissé peser sur lui le moindre atome de complicité, était à tout jamais engagé dans cette fausse route où tous les cercles du crime vont en s’élargissant, comme dans l’enfer de Dante.

Le procès des ministres fut donc la pierre de touche de la monarchie de juillet : c’était en face de la révolution l’épreuve décisive, comme le siége d’Anvers le fut plus tard en face de l’Europe. Sachons estimer les victoires de la civilisation à leur juste prix, et comprenons bien que ce jour-là fut grand. Il ouvrit noblement la carrière d’un jeune ministre ; il ferma celle d’un vieux général dont la populaire fortune avait connu dans les deux mondes de bruyans triomphes, qui tous s’effacent devant celui-là.

On allait avoir à prendre des mesures rigoureuses ; il ne fallait pas qu’elles fussent compromises par des hommes d’antécédens équivoques ; la révolution devait se voir d’autant plus encensée, qu’on aurait bientôt à croiser le fer avec elle. De là le changement ministériel du 3 novembre, qui transporta le pouvoir à la gauche : combi-