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Adrien crut d’abord que l’aubergiste raillait ; il eut grand’ peine à en croire ses oreilles, lorsque celui-ci lui assura que son nom était déjà célèbre dans les Pays-Bas, et que ses tableaux étaient fort recherchés. Voulant, du reste, s’assurer de la vérité, il peignit en quelques jours, sur une planche de cuivre dont son hôte lui avait fait présent, un combat de paysans et de soldats ivres ; Van Soomeren se chargea lui-même de placer le tableau, et sortit pour le montrer à M. de Vermandois, riche amateur qu’il connaissait.

Brauwer s’assit à la porte de l’hôtellerie, fort inquiet, et ressentant plus de craintes que d’espérances. Au bout d’une heure il aperçut Van Soomeren qui revenait sans le tableau, mais avec l’air mécontent.

— Eh bien ? lui demanda-t-il.

— Eh bien ! il n’y a plus d’argent à Amsterdam. Ils sont ici huit ou dix peintres qui font des tableaux plus vite qu’on ne bat monnaie ; les collecteurs en ont tant acheté, qu’ils sont tous ruinés.

— Cependant vous avez vendu le mien ?

— Sans doute, vous m’aviez recommandé d’en tirer n’importe quel prix ; je l’ai donné pour rien.

— Combien avez-vous reçu ?

— Une misère, vous dis-je.

— Mais encore ?

— Cent ducats.

Brauwer se leva en jetant un cri.

— Cent ducats !… mais c’est impossible !…

— Cela est pourtant, et les voilà, dit Van Soomeren en présentant au jeune homme une longue bourse pleine d’or.

— Cent ducats !… répéta celui-ci, cent ducats !…

Et il s’assit, hébété de joie, la bourse tremblant dans sa main. Il la vida devant lui sur le banc de pierre, compta les pièces l’une après l’autre. La vue des ducats finit par le persuader. Alors il se leva comme un fou, se mit à danser, à chanter, à tourner sur lui-même ; puis saisissant l’aubergiste à bras le corps pour l’embrasser :

— Van Soomeren, s’écria-t-il, je veux faire ta fortune ! j’ai de l’or, regarde, de l’or !

Et il faisait sonner sa bourse dans sa main.

— Je suis riche comme un roi maintenant !… À boire ! Van Soomeren ! Sers-moi tous les vins de ta cave ! mets ta basse-cour à la broche ! invite tous les passans ! ce soir je donne à souper à la ville d’Amsterdam ; dépense, dépense, je paierai tout ; j’ai de l’or !…

Van Soomeren, chez qui l’aubergiste avait depuis long-temps ab-