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à raison de quatre sous pièce !… Adrien accepta avec empressement, tout surpris que ses peintures pussent être achetées quelque chose.

Cependant Van Ostade revint plusieurs fois le voir, et l’engagea à fuir, en l’assurant qu’il pourrait vivre partout de son pinceau. Brauwer doutait encore ; mais l’hiver avait commencé, le froid devenait intolérable dans le grenier de maître Hals. Adrien se décida à partir, et après avoir livré à quelques camarades huit ou dix tableaux pour une somme d’environ trente sous, il força la porte de sa prison et prit la fuite.

Une fois libre, son premier soin fut d’entrer chez un pâtissier, où, avec l’imprévoyance d’enfant qui fut le fléau de sa vie entière, il échangea tout son argent contre une provision de pain d’épices. Il se mit ensuite à parcourir la ville sans savoir ce qu’il devait faire ni de quel côté se diriger.

Maîtrisé, dès ses premières années, dans toutes ses volontés, il avait perdu l’habitude d’agir sous sa propre inspiration ; son esprit était resté sans audace, ses désirs sans énergie, et les derniers mois passés chez Hals avaient achevé de briser cette ame qui avait toujours manqué de ressort. Il s’était d’ailleurs désaccoutumé de bruit, de lumière, de mouvement, et sa première impression, en se trouvant dans les rues de Harlem, fut une gêne douloureuse ; il avait honte de ses haillons ; il ne savait comment marcher sous tant de regards. Pour leur échapper, il entra dans une église, et alla se cacher sous l’orgue, dans le coin le plus obscur. Là, il fut saisi d’une sorte d’affaissement moral. Il pensa que l’esclavage lui était devenu une seconde nature, et que peut-être il n’était plus capable de jouir de la liberté. Cette idée le navra si profondément, qu’il s’assit et se mit à pleurer à chaudes larmes. Un homme qui priait près de lui entendit ses sanglots ; il s’approcha pour lui en demander la cause ; Brauwer lui raconta toute la vérité. Cet homme, ému, lui proposa de le ramener chez son maître, en lui promettant qu’il obtiendrait pour lui de meilleures conditions que par le passé. Brauwer se laissa persuader. Il fut, en conséquence, ramené à Hals, qui, honteux de voir son avaricieuse cruauté découverte, promit de mieux traiter son élève à l’avenir.

Adrien fut, en effet, conduit à la fripperie, où on lui acheta un habit tabac d’Espagne, une culotte rouge et des bas chinés. Il lui fut aussi permis de travailler dans l’atelier qui était chauffé, et on ne lui refusa plus la nourriture nécessaire.

Plus heureux, Brauwer travailla avec plus d’élan, et ses talens