Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/95

Cette page a été validée par deux contributeurs.
91
LE PORTUGAL AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

financière. Les juridictions seigneuriales furent abolies, ainsi que les juridictions ecclésiastiques. On crut pouvoir remplacer tout le système provincial par une organisation géométriquement régulière. L’établissement du jury fut décrété pour les affaires criminelles et même civiles ; et l’on imagina de substituer aux vieilles camaras municipales des conseils électifs pour contrôler toutes les opérations des administrateurs locaux. On arrêta également l’établissement de trésoriers électifs, et d’un conseil de répartition, choisi d’après le même mode. L’on décréta (et ceci était plus grave encore par ses conséquences) que tous les biens de la couronne et des ordres retourneraient à la nation ; que l’on consacrerait à l’amortissement de la dette publique le produit de toutes les proprias et capellas de la couronne, de toutes les commanderies des ordres militaires, anéantissant ainsi d’un trait de plume les principales, l’on pourrait dire les seules ressources d’une noblesse perdue de dettes. On arrêta également la réunion au domaine public des biens, des prélatures, canonicats et autres bénéfices ecclésiastiques ; les corporations religieuses des deux sexes furent frappées d’un impôt double sur la totalité de leurs revenus. On arrêta l’extinction successive d’une foule de monastères, la prohibition des vœux nouveaux, etc.

Mais il était moins difficile d’arrêter toutes ces belles choses que de les mettre à exécution dans un pays où les cent députés qui les avaient conçues étaient à peu près les seuls à les comprendre. Si l’on ne vit pas, comme en Espagne, des soulèvemens populaires, si des moines ne parcoururent pas les campagnes armés du glaive et de la croix, c’est que la population portugaise agit rarement par des inspirations passionnées. Mais il est une force d’inertie plus difficile à vaincre qu’une résistance à main armée. Comment obtenir d’un peuple une coopération à laquelle il se refuse, et le déterminer à l’exercice de droits qu’il ne comprend pas ? Aussi les anciens corregidores et les juizes de fora restèrent-ils en fonction, parce que les ministres comprirent qu’il était impossible de les remplacer selon le mode décrété. Personne ne se présenta pour l’élection des chambres municipales ; personne ne voulut être juré. Les paysans portugais continuèrent à payer la dîme et les droits seigneuriaux, les couvens conservèrent leurs moines, et, malgré la prohibition légale, ils ne refusèrent aucun novice.

Que faire en un pays où les mœurs résistent si vivement aux lois, où les communications sont, presque partout, impraticables, où l’on manque enfin des premiers élémens de notre civilisation administra-