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où l’empereur ne voyait qu’une colonie continentale de la Grande-Bretagne, sans nulle importance par lui-même, se vit menacé de servir de dédommagement à un prince dépossédé d’Étrurie et de devenir le prix des complaisances du vil favori qui gouvernait alors l’Espagne[1]. Bonaparte déclara que la maison de Bragance avait cessé de régner ; un lieutenant partit pour exécuter l’arrêt.

Le cabinet portugais reçut cette fois de l’Angleterre des secours qu’il en avait vainement réclamés, en s’appuyant sur les titres mêmes de son vasselage, lorsqu’il ne s’agissait que de ses intérêts propres. Sir Sydney Smith arbora son pavillon dans le Tage lorsque les premières colonnes françaises avaient déjà franchi la frontière. Un vaisseau britannique emporta dans un autre hémisphère le régent du royaume et sa vieille mère en démence, et les derniers regards du prince purent entrevoir à l’horizon le drapeau tricolore flottant, comme un sombre nuage, sur la tour élevée de Belem. La capitulation de Cintra, déterminée par l’issue de la bataille du Vimeiro, rendit au Portugal l’espoir de rester au nombre des nations ; mais en secouant le joug ennemi, on dut se résigner à en subir un autre, plus dangereux à coup sûr, sinon plus rude. Les champs du triste Portugal furent dépouillés de cultivateurs pour entretenir une armée, inutile désormais à son indépendance et commandée par des officiers anglais.

La paix européenne empira cet état de choses bien loin de le changer. Il fallut pourvoir à la fois aux exigences des deux capitales, Londres et Rio, aux besoins de la cour, définitivement fixée au Brésil. La franchise sans bornes concédée aux vaisseaux étrangers, dans les ports de cette ancienne colonie par le traité du 19 février 1810, anéantit pour jamais ce qui restait de commerce et d’industrie au Portugal. Argent, soldats, marine, tout s’écoulait vers Rio de Janeiro. Une armée portugaise dut reconquérir Monte-Video au profit de la nouvelle métropole. Il devint alors impossible de douter des projets de la cour, que la politique anglaise tendait à séparer du Portugal par l’immensité des mers. Le vieil honneur national se réveilla dans toutes les ames, et la haine publique se porta avec violence sur l’Angleterre. Chaque jour l’agitation croissait à Lisbonne, et les campagnes elles-mêmes, domptées par la misère, commençaient à sortir de leur apathie habituelle. Les imaginations frappées accueillaient les bruits les plus absurdes. Tantôt le Portugal était vendu à l’Angleterre ; tantôt il était cédé à l’Espagne, en compensation d’une partie du

  1. Traité secret de Fontainebleau du 29 octobre 1807,