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LE PORTUGAL AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

Selon ce qui se passait dans les cortès de l’Espagne, aux états-généraux de la France, dans les parlemens de l’Angleterre et les diètes de l’Allemagne, rien n’était fixé, ni dans le mode des délibérations, ni sur les limites du pouvoir, ni sur l’époque obligée des convocations. Les causes qui, dans toute l’Europe, firent tomber en désuétude les franchises populaires vers la fin du XVe siècle, exercèrent une action analogue en Portugal.

Le génie du peuple s’étant exclusivement tourné vers la navigation et les lointaines conquêtes, d’immenses continens devinrent le théâtre de son héroïsme aventureux ; et, dans le grand mouvement qui couvrit de gloire le nom lusitanien, les rois purent facilement accroître un pouvoir qu’on songeait peu à contrôler. Pendant que Barthélemi Dias découvrait le cap des Tempêtes, salué par Jean II du nom de cap de Bonne-Espérance, pendant qu’Emmanuel-le-Fortuné voyait les portes de l’aurore tomber devant les Quines du Portugal, la noblesse, vivement attaquée par ce prince dans son pouvoir politique, était sans force pour le rappeler à l’observance des antiques coutumes, et l’orgueil national ne comprenait pas qu’il pût manquer quelque chose au peuple qui triomphait à la fois à l’extrémité de l’Amérique et de l’Asie. Les convocations des cortès, devenues de plus en plus rares à partir du règne de Jean III, cessèrent peu à peu, et une junte, dite des trois états, reçut mission de suppléer la représentation nationale, dont partie des attributions finirent par aller se perdre dans une cour de justice, desembargo do Paco, au temps où le parlement de Paris se portait héritier des états-généraux de la monarchie française. La liberté du Portugal était morte avant que Philippe II rayât son nom de la liste des peuples en l’incorporant à l’Espagne.

Si une nouvelle monarchie portugaise sortit d’un complot heureux, si Jean V de Bragance reçut mission de continuer la série des vieux rois lusitaniens, l’Europe eût dû comprendre que le génie du Portugal était éteint pour ne jamais renaître. Une politique plus généreuse l’eût empêchée de soutenir un démembrement qui devait être si funeste aux deux peuples péninsulaires, en maintenant à Lisbonne un gouvernement qui, dès le lendemain de sa naissance, s’empressa d’abdiquer devant l’étranger. Les traités de 1641, 1654, 1661, le traité de commerce de 1703 avec l’Angleterre, furent en effet de prompts et authentiques témoignages de cette impuissance qui atteint un peuple aux sources mêmes de sa vie, et qui fait du nom de nation comme une dérision amère.