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couronne[1], aujourd’hui, dépouillée de ses richesses et de sa puissance, sortie du vieux régime de féodalité claustrale sans être assez forte pour opérer sa transformation par les idées contemporaines, se tient immobile entre le passé et l’avenir, dans une sorte d’apathie profonde.

En vain les révolutions se sont-elles succédé, en vain une constitution en détrône-t-elle une autre, le pays regarde et laisse faire, opposant sa force d’inertie aux novateurs sans prêter un plus énergique concours aux rétrogrades. Depuis la première révolution de Porto, en 1820, jusqu’aux mouvemens récens de Lisbonne, le peuple portugais s’est presque toujours effacé dans les querelles, plus longues que sanglantes, où s’est décidé son sort. On a vu les lois fondamentales changer tour à tour au gré des casernes et des palais. Dix ans durant, des intrigues et des conspirations, dont le pays semblait accepter les résultats avec indifférence, se nouèrent autour d’une femme qui, vouant à la haine les restes d’une vie épuisée par d’autres passions, empoisonna les derniers jours d’un époux débonnaire, et poussa jusqu’à la révolte et au parjure un prince qui n’eût été qu’un homme vulgaire par l’intelligence comme par le cœur, si sa mère ne lui avait soufflé l’énergie de son indomptable volonté.

Jean VI terminant dans les larmes, au royal monastère de Mafra, une vie dont sa famille lui avait fait un long supplice, défendant l’intégrité de ses états contre l’un de ses fils, sa liberté, si ce n’est son existence, contre l’autre ; de mystérieux poignards frappant dans la nuit les amis personnels de l’infortuné monarque ; une jeune princesse courant les mers en quête d’une couronne que son oncle et son fiancé lui disputent ; deux frères se disputant à main armée un royaume épuisé ; ces scènes que l’impassibilité nationale fait peut-être ressortir davantage, reportent la pensée vers les sérails d’Orient et les sombres palais des rois mérovingiens. On a quelque peine à se persuader que tout cela se passe en pleine Europe. Mais à l’impression d’étonnement vient bientôt s’en joindre une autre. En étudiant avec quelque soin la longue série de ces évènemens, en en cherchant la racine dans l’histoire et le génie du pays, on ne tarde pas à s’apercevoir que l’avenir de ce peuple ne lui appartient pas, que sa cause est l’accessoire d’une autre cause. On sent que l’indépendance du

  1. ....Quasi cume de cabeca
    De Europa toda, o reino lusitano
    .

    (Os Lusiadas, iii, xx.)