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la poésie qu’il appartient de résoudre une pareille question, mais il ne lui est pas défendu de la poser. Puisqu’elle s’adresse à l’imagination, et que son rôle est d’émouvoir la multitude, elle fait bien de présenter sous une forme populaire les idées qui ne sont pas encore généralement comprises, et qui ont besoin d’être discutées dans le sein des familles avant d’être écoutées à la tribune. Les académies et les colléges ne comprennent pas ainsi la tâche de la poésie ; mais le poète, pour exprimer sa pensée, ne doit s’inquiéter ni des académies ni des colléges. Sans empiéter sur le domaine de la science, il peut frapper l’intelligence de la foule par le tableau des souffrances que la réforme des lois est seule appelée à guérir. À Dieu ne plaise que je conseille jamais à personne de versifier la discussion des questions sociales ! Une pareille entreprise exciterait justement le dédain de la science et de la poésie ; mais le poète, sans oublier sa mission qui est d’émouvoir, peut être pour la science un utile auxiliaire, et à ce titre, la Lyre d’airain mérite nos éloges. Quelquefois cependant il est arrivé à M. Barbier de méconnaître la limite qui sépare la description technique de la description poétique ; il a tenté de peindre les métiers et les machines, les chaudières et les soupapes, et je dois dire que cette peinture manque absolument de clarté. Ce qui est, pour les mécaniciens, erreur ou confusion devient, pour les lecteurs ordinaires, une nuit impénétrable. S’il est permis à la poésie d’introduire dans ses tableaux le mouvement de l’industrie, c’est à la condition de négliger les détails pour ne montrer que les résultats généraux ; en violant cette condition, elle se condamne à la sécheresse ou à l’obscurité. Dans la Lyre d’airain, M. Barbier n’a pas su éviter le dernier de ces deux écueils ; toutefois, malgré cette tache, la pièce est assurément l’une des meilleures de Lazare, et les détails obscurs pourraient être supprimés sans inconvénient.

La dernière pièce du recueil, la Nature, est, à mon avis, la plus belle de toutes. Le poète, en présence de l’industrie envahissante, se demande ce que deviendra la nature ; il s’inquiète et s’afflige, il craint que l’imagination, la rêverie, les passions et le bonheur ne succombent, et n’expient par leur anéantissement l’implacable succession de métamorphoses que la volonté humaine accomplit comme pour se jouer de la volonté divine ; c’est une noble et touchante inquiétude que M. Barbier a traduite avec une rare éloquence. Le cantique orgueilleux des défricheurs, la plainte du poète et la réponse de la Nature expriment très bien les relations de l’industrie et de l’imagination, les espérances et les craintes qui les divisent, et la raison qui