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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

le second fils de lord Chatham a laissé des traces si profondes dans l’histoire, qu’il y avait lieu, nous le croyons du moins, à retracer plus largement la personne et la conduite de cet homme singulier. Car William Pitt n’a vécu que pour la puissance ; il n’a jamais eu d’autre passion, d’autre désir, d’autre volonté que le gouvernement de son pays. Tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a conçu, tous les actes de sa vie, favorables ou contraires au droit, ne se proposaient qu’un but unique, la gloire et la suprématie de l’Angleterre. Pour atteindre ce but, il n’a pas craint de prodiguer l’or de son pays et d’engager l’avenir ; il a soudoyé l’Europe et déchaîné contre la France, rivale de l’Angleterre, des armées aussitôt réunies que dispersées. Il est mort à la tâche ; mais à son lit de mort, il n’a pas abjuré la pensée qui a dominé toute sa vie : il s’accusait auprès de l’évêque de Winchester d’avoir négligé la prière, mais il croyait sincèrement avoir accompli ses devoirs envers sa patrie. Certes, un homme de cette trempe, premier ministre à vingt-quatre ans, maître de son pays pendant plus de vingt ans, étranger à toutes les joies qui ne sont pas le pouvoir, mort pauvre, obligé de recommander ses nièces à la générosité publique, après avoir régné sur l’Angleterre, et sillonné l’Europe de sa volonté, est une figure digne d’étude. C’est pourquoi je regrette que M. Barbier se soit arrêté à la surface du sujet qu’il avait choisi. La pièce du Pilote est remplie d’énergie et de grandeur ; mais je crois qu’il eût été bon d’insister plus longuement sur la lutte de la volonté contre l’histoire, car, non-seulement la pensée de Pitt a été vaincue par la révolution française et par la réforme parlementaire de la Grande-Bretagne, mais sa défaite se poursuit encore aujourd’hui sous nos yeux. L’émancipation des catholiques d’Irlande et la réforme des corporations municipales sont autant de victoires remportées sur cette pensée obstinée. Il était naturel de rattacher à William Pitt toute l’histoire de la Grande-Bretagne depuis la rentrée des Bourbons en France. M. Barbier, en circonscrivant le champ de ses méditations, a réussi à produire une belle pièce, mais il n’a pas mis en lumière toutes les richesses contenues dans le seul nom de Pitt ; il s’est exagéré l’importance de la sobriété.

La Lyre d’airain personnifie d’une façon poignante la misère laborieuse. Il est impossible d’exprimer plus clairement à quel prix l’industrie se développe, à quel prix l’homme triomphe des choses ; le dialogue du maître et de l’ouvrier, de la mère et des enfans, résume avec une évidence accablante l’une des plus graves questions soulevées depuis cinquante ans, la question des salaires. Ce n’est pas à