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REVUE. — CHRONIQUE.

que, pour notre part, nous n’aimons pas, car nous trouvons qu’elle aboutit à l’exagération dramatique, aux cris, à la ruine de la mélodie, mais qui, après tout, vaut bien qu’on s’y conforme, puisqu’elle est en honneur aujourd’hui. Voilà pourquoi, même au milieu du succès bien légitime qui l’a, dès son début, accueillie dans la Juive, il était facile de prévoir que Mme Stoltz sortirait avec moins de bonheur de l’épreuve des Huguenots. La grande musique ne soutient guère que les forts. À mesure que la musique s’élève, elle dépouille tous ces petits artifices de métier, au moyen desquels la plus médiocre cantatrice gagne la partie, pourvu qu’elle sache tordre ses membres à propos et rouler ses grands yeux à souhait. La musique de la Juive nous semble admirablement combinée pour ce genre d’effet. Dans le caractère de Valentine, tout au contraire, on sent une préoccupation presque constante de l’idéal ; l’effet tombe moins sous le sens, il est plus dans le cœur que dans le geste, plus dans l’expression simple de la voix que dans l’expression du regard. En passant ainsi, presque à l’improviste, de la Juive aux Huguenots, Mme Stoltz devait trébucher, faute d’avoir bien calculé les distances. Il en serait de même, si demain elle s’attaquait à Mozart. On aurait tort cependant de donner à ce petit échec, bien réparé depuis, plus d’importance qu’il n’en mérite. L’avenir des cantatrices ne dépend pas d’une seule épreuve, il faut bien aussi leur tenir compte de ces funestes inquiétudes du premier début, qui recommencent pour elles à chaque rôle nouveau. Depuis quelques jours, Mme Stoltz se rassure, et tout va mieux ; il y a plus de confiance et moins de fausses notes. En vérité, c’est une rude affaire pour la critique que d’avoir ainsi à se prononcer à tout moment sur des talens qu’elle ne peut juger dans leur ensemble. Hier ils ont réussi, ce soir ils échouent ; à toute occasion ils varient ; et si vous faites comme eux, on prétend aussitôt que vous les exaltez par caprice, ou que vous les diminuez à plaisir. Il y a des chanteurs accomplis et parfaits sur le compte desquels il n’est point permis d’hésiter ; ceux-là se font reconnaître d’un seul coup ; une cavatine suffirait au besoin pour donner leur mesure. Après Guillaume Tell et les Huguenots, on pouvait, sans être un grand sorcier, parler hardiment de l’avenir de Duprez ; mais que dire de ces talens, jeunes et sans expérience, qui font quelques pas, puis s’arrêtent, et ne se révèlent jamais que par boutades ? Quoi que la critique fasse à leur égard, il ne tient qu’à eux de lui donner un démenti.

Nous l’avons déjà dit, Mme Stoltz possède une des plus belles voix de soprano qui se puissent entendre. C’est une vibration, une limpidité, et, par momens, une puissance dont rien n’approche. Tout l’avenir de Mme Stoltz est dans cette voix. Il s’agit maintenant pour elle de l’assouplir, de la rendre obéissante et juste, sinon parfaitement agile, et surtout d’en égaliser les registres. Pour bien apprécier la beauté naturelle de cette voix, il suffit d’entendre les effets qu’elle trouve presque au hasard et dans l’état inculte où elle est encore. Ainsi, dans le magnifique duo du quatrième acte, lorsque Valentine éperdue avoue à Raoul, pour le retenir auprès d’elle, le secret de sa passion, Mme Stoltz, par l’élan seul de son organe, émeut toute la salle, et remplace de la sorte le mouvement spontané où Mlle Falcon s’abandonne. Du moment où Mme Stoltz sera parvenue à modérer, à son tour, cette voix qui, aujourd’hui, la gouverne et l’entraîne souvent hors de la mesure, Mme Stoltz n’aura plus de rivale sérieuse sur la scène de l’Opéra. On reproche beaucoup à la jeune cantatrice de Bruxelles de manquer de chaleur dramatique et