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les bancs de la gauche dans la chambre des députés. Il a été aussi question de manifeste électoral, de devise à prendre, de bannière à planter au milieu du champ de bataille ; et puis, un beau matin, tout s’est trouvé rompu. Les journaux se sont remplis de récriminations fort aigres, de violentes accusations, d’amers et méprisans sarcasmes. Pour tout dire enfin, et pour résumer toute cette querelle en deux hommes qui personnifient deux systèmes, M. Odilon Barrot n’a pas voulu siéger auprès de M. Garnier-Pagès. Il y a donc maintenant aussi loin de l’opposition du compte-rendu aux combattans du cloître Saint-Méry, que de la majorité de Casimir Périer au camp ultra-doctrinaire qui a pris pour drapeau le Journal de Paris.

Dans l’état d’affaiblissement où sont les partis, quelle sera, quelle doit être l’attitude du gouvernement ? Comment s’exercera son influence ? de quel côté penche-t-il ? où sont ses préférences et les candidats selon son cœur ? Pour répondre à ces questions, il faut d’abord se demander où le ministère du 15 avril a trouvé sympathie, force et faveur dans la dernière session, quels y ont été ses adversaires, quels y ont été ses amis ; car il est bien évident que tous ceux qui l’ont, non pas supporté, mais soutenu, doivent être de nouveau désirés et rappelés par lui dans la chambre prochaine, pour y former sa majorité, la majorité sympathique et ferme dont il a besoin. Eh bien ! c’est dans l’appui des deux centres qu’il a trouvé sa force. Le centre gauche échappait de plus en plus au gouvernement ; le ministère du 15 avril l’y a rattaché. Quant au centre droit, il lui est resté presque tout entier, moins un petit nombre d’hommes de passion, aux yeux desquels le bien change de caractère, quand il n’est pas fait exclusivement par eux et pour eux. À l’exception de ces quelques hommes, vingt ou trente, qui le lendemain de la formation du ministère du 15 avril lui ont jeté le gant et se sont précipités dans une opposition violente, le reste du centre droit s’est montré bienveillant et juste envers le gouvernement. Le ministère, en effet, ne se présentait pas moins comme ministère de fusion entre les élémens divisés de l’ancienne majorité, que comme ministère de conciliation ; et ce caractère, il l’avait par lui-même, et, pour ainsi dire, indépendamment de ses actes. Les hommes et les partis sont ainsi faits, que toute combinaison ministérielle parle d’elle seule, et que l’une sépare, tandis que l’autre rapproche et confond. C’est de cette dernière nature qu’était la combinaison Molé et Montalivet, la meilleure possible dans l’état où se trouvaient le pays et la chambre, parce qu’en apaisant l’irritation évidente des esprits, elle donnait à l’ordre toutes les garanties nécessaires, parce qu’elle ne jetait pas le gouvernement tout d’un côté, comme l’eussent fait d’autres combinaisons, et parce qu’elle rétablissait un équilibre dérangé que celles-ci eussent entièrement rompu. « Aujourd’hui donc, peut et doit se dire avec raison le cabinet du 15 avril, que cet équilibre est rétabli par mes soins, le gouvernement prendra-t-il l’initiative, et se donnera-t-il spontanément la tâche de le rompre au profit d’un des centres. » Pour continuer ce raisonnement, le ministère suivra-t-il le conseil que lui donnent quelques-uns de ses amis ? Nous ne le pensons pas, s’il veut rester fidèle à son origine, car il ne se croit pas seulement du centre droit ; et si dans les élections prochaines il portait exclusivement d’un côté toutes ses préférences et le poids de l’influence légale du gouvernement, il ferait un acte peu politique, il faut le reconnaître, et déplacerait de lui-même son point d’appui, au risque de se mettre à la merci d’une section de la chambre qui ne l’aurait pas