Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/76

Cette page a été validée par deux contributeurs.
72
REVUE DES DEUX MONDES.

rité qui ne soit pour l’imagination un thème glorieux ; toute la difficulté se réduit à interpréter dignement le thème dont le vulgaire détourne son regard. Quoique la tâche du poète se distingue nettement de la tâche du moraliste, il n’est pas défendu au poète de s’associer à la tâche qui n’est pas la sienne ; l’imagination, en appelant la sympathie publique sur les souffrances que la multitude accepte comme inguérissables, ne perd ni sa grandeur, ni sa pureté ; elle émeut, et l’émotion qu’elle produit vient en aide à l’enseignement dialectique. C’est à ce point de vue qu’il faut se placer pour comprendre et pour admirer le Minotaure.

Les belles Collines d’Irlande expriment sévèrement, avec une tristesse pénétrante, ce qui se passe dans l’ame du paysan irlandais enlevé à son village natal et forcé, pour ne pas mourir de faim, de labourer, d’arroser, de féconder de ses sueurs le champ d’autrui. Les premières stances sont graves, et le lecteur croirait volontiers que la plainte va tourner à la satire ; mais peu à peu le souvenir des belles collines d’Irlande donne à la pensée du pauvre paysan une sérénité pleine de grandeur ; en pleurant ses collines chéries, il cède au besoin de les chanter, de les peindre ; il en décrit la beauté avec tant de précision, tant de pureté, qu’il oublie un instant sa douleur dans l’admiration de la terre absente. Cette pièce est assurément une des plus belles de Lazare ; les développemens sont traités avec une rare sobriété, mais cette sobriété même ajoute à la pensée une valeur nouvelle. Comme il n’y a dans cette plainte mélancolique aucune parole inutile, chaque parole porte coup. La concision, ainsi comprise, n’a rien de commun avec la sécheresse, et n’appartient qu’à une habileté consommée. Pourquoi l’Irlande, qui joue aujourd’hui un rôle si important dans les affaires de la Grande-Bretagne, ne paraît-elle qu’une fois dans le recueil de M. Barbier ? Est-ce de la part du poète un oubli ou un artifice ? Si c’est un oubli, cet oubli, je l’avoue, s’explique difficilement ; si c’est un artifice, je crois que l’auteur s’est mépris sur les proportions qui conviennent à l’Irlande dans un poème sur la Grande-Bretagne ; car depuis quarante ans l’Irlande s’est réveillée plusieurs fois, et son sommeil même suffit pour effrayer l’Angleterre. Depuis le duc de Wellington jusqu’à lord Grey, depuir sir Robert Peel jusqu’à lord John Russell, il n’y a pas un homme d’état, à quelque opinion qu’il appartienne, qui ne s’inquiète de l’Irlande ; il n’y en a pas un qui ose prendre une décision de quelque gravité en ce qui touche l’église, le droit criminel ou l’administration municipale, sans se demander si cette décision ne suscitera pas de nouveaux