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VOYAGE DU DUC DE RAGUSE.

Le véritable chef de l’escadre égyptienne, celui qui l’a créée, est un Français, M. Besson, qui est vice-amiral et major-général du pacha, dont il possède toute la confiance. Il a formé et dressé les équipages avec une promptitude inouie. Les vaisseaux naviguent et manœuvrent avec régularité, et tiennent des croisières dans les mers étroites et dangereuses qui baignent les côtes de l’Asie-Mineure, de la Syrie et de l’Égypte. Cette marine a, et avec raison, le sentiment de sa supériorité sur celle des Turcs.

En revoyant le mouillage et la côte d’Aboukir, le maréchal discute les travaux qui seraient nécessaires encore, afin que la place d’Alexandrie ne soit plus attaquable d’aucun côté par une armée de débarquement. Cette rade lui rappelle aussi le combat naval qui eut une si grande influence sur le sort de l’armée française et sur celui de l’Égypte. Quand Bonaparte apprit cette funeste nouvelle, il resta calme. « Nous voilà séparés de la mère-patrie, dit-il, sans communications assurées avec elle ; il faudra savoir nous suffire à nous mêmes. L’Égypte offre d’immenses ressources : nous les développerons… La grande affaire pour nous, c’est de préserver l’armée d’un découragement qui serait le germe de sa destruction. Sachons nous élever au-dessus de la tempête, et les flots seront domptés. Nous sommes peut-être destinés à renouveler la face de l’Orient, à placer nos noms à côté de ceux les plus illustres de l’histoire ancienne et du moyen-âge. »

C’est à Alexandrie que le pacha a fixé sa résidence d’été ; il y passe au moins six mois chaque année : l’hiver, il habite le Caire. Dès le matin, Méhémet sort de son harem et s’établit dans son divan : là il est accessible à tout le monde. Les consuls-généraux entretenus en Égypte par les diverses puissances de l’Europe forment le corps diplomatique du pacha et habitent toujours la même ville que lui. Leur position n’est pas sans éclat dans Alexandrie, la ville d’Orient où l’on retrouve le plus les mœurs de l’Europe et le plus grand nombre d’Européens.

On conçoit l’empressement du voyageur à parcourir l’Égypte : Fouéh, ville du Delta, fut sa première station sur le Nil, dont l’aspect le frappa d’admiration, comme s’il n’avait jamais contemplé ce fleuve magnifique. En naviguant sur ses eaux, il se rappelait les impressions de sa jeunesse, et l’aspect différent sous lequel le pays s’offrait à ses yeux le surprenait. Les palmiers qui décorent les villages étaient plus nombreux jadis ; les maisons n’étaient plus surmontées, comme autrefois, de colombiers d’une architecture bizarre