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éprouvé des pertes ; la peste la ravagea. La garnison, au contraire, reçut par mer des renforts qui la portèrent jusqu’à douze mille hommes, et devint plus forte que l’armée qui l’attaquait. Quand Ibrahim-Pacha, en 1832, assiégea Saint-Jean d’Acre, il avait une armée nombreuse, un équipage d’artillerie complet, une escadre, des moyens immenses, et encore il resta six mois devant cette place. Cette ville est d’une extrême importance pour Méhémet-Ali ; elle est centrale, elle est maritime, elle peut servir de refuge, en cas d’évènemens malheureux ; sa position est formidable, sa célébrité donne un grand ascendant à celui qui la possède : le maître de l’Égypte ne saurait prodiguer trop de soins à la fortifier encore.

Que l’ame d’un homme doit être profondément remuée, quand il lui arrive, à trente-six ans de distance, de revenir au théâtre illustre où il a déployé l’activité de sa jeunesse ! Il retrouve les charmes et les voluptés de l’action qui firent bouillonner son sang ; ce n’est plus le vieux et sombre guerrier, c’est le jeune homme plein d’ivresse et d’audace, ne doutant ni de l’avenir, ni de lui-même, et voulant s’emparer du bonheur et de la gloire avec une indomptable énergie. Que sera-ce, si l’intervalle écoulé entre les deux venues sur une terre fameuse a été rempli par des évènemens publics et des accidens personnels d’une grandeur inouie et d’une variété foudroyante ! L’ame du maréchal a dû être traversée par de pathétiques émotions à la vue de l’Égypte : il en parle avec une simplicité qui est une preuve nouvelle de leur profondeur. Méhémet-Ali, quand le duc de Raguse arriva à Alexandrie, était au moment de partir pour le Caire. Déjà il avait quitté la ville ; mais il revint exprès, et visita le maréchal dans un château sur le bord de la mer, où ce dernier faisait une quarantaine de sept jours. Comme c’était la première fois que Méhémet-Ali rendait visite à un Européen, la sensation fut grande dans tout le pays. Méhémet-Ali est de petite taille ; la finesse et l’énergie frappent dans ses traits, qui sont beaux, et dont l’expression est relevée par une superbe barbe blanche ; il a le regard perçant, la physionomie mobile, des mœurs enjouées, de la gaieté, de la bienveillance, une rare connaissance des hommes, une force de volonté qui surmonte ou brise tous les obstacles, l’instinct des grandes choses ; le goût de leur imitation ; point d’études, pas de science acquise ; un génie naturel, pratique. Quand le maréchal le vit, il avait soixante-cinq ans ; sa forte constitution ne redoute aucune fatigue. Le premier emploi que fit le voyageur de sa liberté fut d’aller présenter à Méhémet-Ali ses remerciemens. Leur entretien fut fort long. Prévenu du caractère du pa-