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VOYAGE DU DUC DE RAGUSE.

Jourdain servait autrefois de limite au royaume latin de Jérusalem, du côté de Damas, et formait sa frontière militaire. Le fleuve est très peu large, mais il a une grande profondeur : on peut le comparer à la Seine, au-dessus de la ville de Troyes. On le passe sur un fort beau pont, qui a trois arches en ogive, et d’une architecture gothique. Tibériade n’est plus aujourd’hui qu’une réunion de cabanes infectes qui tombent en ruines. Nazareth est moins misérable ; cette petite ville compte quelques milliers de chrétiens et quelques Turcs, population considérable pour le pays. La plaine d’Esdrelon est fertile, mais à peine si la cinq-centième partie de sa surface est cultivée. Naplouse, l’ancienne Samarie, parle agréablement aux yeux, vue de loin ; mais son aspect est repoussant quand on pénètre dans son enceinte ; elle n’offre que misère et saleté. En approchant de Jérusalem, on croit entrer dans le domaine de la mort.

M. le duc de Raguse a le bon goût de ne pas décrire en détail des lieux sur lesquels M. de Châteaubriand a laissé son empreinte immortelle : il ne nous livre que ses impressions personnelles, qui sont sincères et raisonnables ; il parle des lieux saints, du christianisme, de son fondateur, avec respect et simplicité ; c’est un honnête homme, un soldat, qui vénère, sans superstition, ce que l’humanité a toujours déifié, le dévouement et la vertu. Il se plaint des moines, dont l’esprit borné et la foi aveugle dégradent, par de folles légendes, la grandeur de la réalité ; témoin le père Camille, qui voulait montrer au maréchal le tombeau d’Adam, le premier homme.

Ibrahim-Pacha venait d’entrer à Jérusalem quand le duc de Raguse y revint, après une excursion dans les environs. C’est un homme de quarante ans, d’une extrême corpulence, mais actif, infatigable, gai, fin, spirituel. Il questionna beaucoup le maréchal sur Napoléon, et sur les campagnes qu’il avait faites avec l’empereur ; il parla des siennes, en Syrie et dans l’Asie Mineure, avec beaucoup de modestie. Par son ordre, le voyageur reçut les plus grands honneurs à Jaffa, où, après un jour de repos, il s’embarqua pour Saint-Jean d’Acre.

Si Saint-Jean d’Acre se fût rendu au général Bonaparte, la Syrie était conquise, et les affaires du monde prenaient un autre cours. Plus de retour en France ; un empire français s’élevait en Orient. Mais la résistance de Saint-Jean d’Acre ramena l’armée française en Égypte ; le général en chef eut des nouvelles de l’Europe, le désir de revoir la France, et des vaisseaux pour y courir. Le duc de Raguse donne les raisons du peu de succès de nos armes contre cette ville. L’armée française, déjà peu nombreuse à son entrée en Syrie, avait