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tat obtenu, il aurait eu entre les mains les élémens d’une armée. Ainsi fit Pierre-le-Grand, qui d’ailleurs fonda le droit de commander uniquement sur la capacité démontrée. Quand le duc de Raguse reçut son audience du sultan, il exprima son opinion sur ses troupes avec le plus de ménagemens possibles, mais il put louer avec vérité l’équipage du vaisseau amiral, qui avait manœuvré devant lui avec une merveilleuse agilité. L’école de la garde, qui est sous la direction de Namük-Pacha, renferme cinq cents jeunes gens : si elle se maintient et se développe, elle pourra devenir la base fondamentale de l’armée turque.

Les conclusions du maréchal sur les destinées de l’empire turc sont claires et rigoureuses. Les réformes opérées par Mahmoud se réduisent à peu près à la destruction des janissaires et à l’établissement de la milice nouvelle. Pour le reste, les réformes ne portent guère que sur des choses futiles ; ce sont des changemens de costumes ou de titres. Tout est faiblesse, rien de vital ; partout surgissent des élémens de dissolution. Les Turcs ont perdu leur fanatisme religieux, et le respect profond qu’ils portaient au sang d’Othman ; où est la pensée commune, le sentiment énergique, capables de triompher aujourd’hui de l’apathie naturelle de leur caractère ?

Les Turcs ont toujours été peu nombreux, eu égard à la population des territoires où ils commandaient. Jamais ils n’ont eu qu’une puissance factice, incertaine et mal assise ; ils n’ont point imité les Francs dans leur conquête de la Gaule, ni les Tartares dans celle de la Chine ; ils n’ont jamais associé à leur grandeur les populations qui dépendaient d’eux, mais, les traitant en ennemies, ils n’ont cessé de faire peser sur elles le poids d’une autorité capricieuse et sans frein. Aujourd’hui une population turque de trois millions et demi au plus d’individus des deux sexes et de tout âge, est répandue sur une surface immense ; elle est intercalée dans une population chrétienne plus nombreuse et hostile, elle est en face d’une population arabe qui a l’instinct de sa supériorité. L’empire ottoman est déjà démembré par la création des états de Méhémet-Ali. Il est aujourd’hui en réalité réduit à la ville de Constantinople et aux provinces qui l’entourent immédiatement, où la population turque est le plus agglomérée.

Le grand seigneur ne peut donc exister que par la protection des autres, et il faut qu’il se lie d’une manière intime avec un des deux systèmes qui divisent l’Europe. D’un côté est la Russie, de l’autre les puissances maritimes auxquelles il faut ajouter l’Autriche, et qu’on