Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/734

Cette page a été validée par deux contributeurs.
730
REVUE DES DEUX MONDES.

car on ne peut pas imaginer un dieu sans sagesse. Même en supposant qu’ils n’ont pas délibéré particulièrement sur moi, ils ont du moins arrêté un plan général, et, puisque les choses qui m’arrivent sont une suite nécessaire de ce plan, je dois les embrasser avec amour. » Le stoïque empereur énonçait avec une grave précision ce que devait développer, trois siècles plus tard, un autre philosophe dont la sagesse pratique s’éleva jusqu’au martyre. Théodoric a jeté Boëce en prison, où il le fera assommer comme une bête malfaisante. Boëce, avec une admirable fermeté, écrit avant de mourir la Consolation de la Philosophie. Durant sa vie, il s’est montré le plus impartial des hommes ; il a été à la fois le traducteur, l’interprète de la sagesse antique, et le défenseur de la foi chrétienne contre Arius ; au moment de quitter la vie violemment, il s’appuie sur les maximes d’une forte philosophie, et, sans s’expliquer sur les mystères du christianisme, il rédige les résultats de la plus haute raison ; on dirait un auguste médiateur entre le Portique et l’Évangile.

« Quoiqu’au premier coup d’œil, écrivait-il dans sa prison, la Providence et le destin semblent être une même chose, néanmoins, à les approfondir, on en sent la différence, car la Providence est la souveraine intelligence elle-même qui règle et conduit tout, et la destinée est l’arrangement individuel des choses créées, par lequel elle les met chacune à sa place. Ainsi, l’ordre des destinées n’est que l’effet de la Providence. L’ordre du destin n’est, par rapport à la Providence, que ce que l’effet est à son principe, le raisonnement à l’entendement, la circonférence du cercle à l’indivisibilité de son centre, et le temps à l’éternité… Mais, dira-t-on, les biens et les maux sont indistinctement, sur la terre, le partage des bons et des méchans. Des bons et des méchans ! ah ! les hommes ont-ils assez de lumière et d’équité pour discerner les gens de bien d’avec ceux qui ne le sont pas ? Dieu, au contraire, par sa science infinie, connaît ce qui convient à chacun et le lui prépare par sa souveraine bonté. Ce qui se fait donc ici-bas de contraire à nos idées n’en est pas moins dans l’ordre ; le désordre apparent qui nous afflige si fort n’existe que dans nos fausses opinions. » Quelle est la conséquence de tout cela, si ce n’est que chacun doit être satisfait de son sort ?

La résignation, voilà le dernier mot du stoïcisme et du christianisme. Mais est-ce là toute la vérité ? Non et l’humanité semble méditer aujourd’hui sur quelque nouveau développement de son intelligence et de sa volonté. Mais laissons ces graves questions qu’il ne s’agit pas ici d’entamer : seulement, en arrêtant notre attention sur