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REVUE DES DEUX MONDES.

Collige, virgo, rosas, dum flos nova et nova pubes,
Et memor esto ævum sic properare tuum.

Telle est cette poésie puérile et vieillie, gracieuse et pédante, élégante et vide, où l’on voit poindre l’affectation moderne. La muse moderne a hérité, en naissant, des travers de cette muse décrépite : on pourrait la comparer à une jeune fille qui prendrait, pour se parer, le fard et les mouches de son aïeule.

Ausone porté mollement par les paisibles eaux de la Moselle, au milieu des maisons de campagne, des châteaux magnifiques qu’il peint s’élevant sur les deux rives du fleuve, Ausone goûtait avec sécurité les douceurs de cette civilisation qui allait finir. Nul pressentiment sinistre ne venait troubler le versificateur indolent. Tandis qu’il arrangeait ses descriptions, rien ne l’avertissait que, moins de trente ans après, ces barbares, auxquels il aurait pu toucher la main et auxquels il ne pensait pas, passeraient le Rhin ; qu’alors ces belles villas, ces châteaux somptueux, la ville de Trèves, avec son amphithéâtre, ses thermes et ses palais, seraient la proie des Francs. Pour nous, qui savons ce qui a suivi, il y a une impression presque tragique dans le spectacle de cette frivolité, de cette insouciance qu’attend un si terrible réveil ; elle nous fait la même impression que la frivolité et l’insouciance au sein desquelles s’endormait la société élégante et lettrée du dernier siècle, tandis qu’on dressait déjà l’échafaud de 93. De même, tandis que la grande catastrophe frappait à la porte, oublieux d’elle et du lendemain, Ausone s’occupait à décrire la pêche à la ligne, et respirait le parfum des roses.


J.-J. Ampère.