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AUSONE ET SAINT PAULIN.

subtile, la coquetterie mignarde, jusqu’aux pointes et aux concetti du sonnet et du madrigal. Lisez, par exemple, l’Amour crucifié : Les héroïnes de l’antiquité, voulant punir l’Amour, dont elles ont été victimes, le saisissent et le mettent en croix comme un malfaiteur. L’idée de cette petite composition avait été fournie à Ausone par un tableau qui existait probablement dans le boudoir de quelque grande dame de Trèves. Ainsi c’est encore de la description. Rien n’est plus froid en poésie qu’une peinture d’après un tableau. Ausone faisant des vers précieux à l’occasion de celui-ci, qui représentait un sujet mythologique et galant, ne rappelle-t-il pas Benserade accompagnant de ses rondeaux les gravures des Métamorphoses d’Ovide. Le maniéré de l’exécution répond au prétentieux du sujet. Vénus fustige son fils avec un bouquet de roses ; Dorat n’eût pas mieux trouvé. On reconnaît plutôt le caractère de certaines poésies espagnoles dans une petite pièce de vers sur les roses, qui n’est peut-être pas d’Ausone, mais qui certainement appartient à son temps. L’auteur va contempler les roses de son jardin aux clartés de l’astre de Vénus et aux premières lueurs d’une aurore de printemps. « On eût douté si l’aurore empruntait ou prêtait à ces fleurs leurs teintes roses, et si ce n’était pas le jour naissant qui les peignait de ses couleurs. Le jour et les roses avaient même rosée, même couleur, même aurore… À Vénus appartiennent et l’étoile et la fleur. Peut-être l’une et l’autre ont-elles un même parfum ; plus éloigné, celui de l’astre s’évapore dans les airs. »

Ceci est à la fois gracieux, recherché et hardi ; cette confusion des nuances des roses et des teintes de l’aurore, les parfums de la fleur prêtés à l’étoile, sont des imaginations du genre de celles dont Calderon ou Lope de Vega remplissent leurs vers cultos, espèce de tirade lyrique jetée dans leurs comédies. Puis le poète voit la rose s’épanouir et bientôt se faner ; naissante à peine, il la voit vieillir :

Et dum nascuntur consenuisse rosas.

Un jour est une longue vie pour elle. C’est l’espace d’un matin de Malherbe ; mais ici le poète moderne est plus simple, on pourrait dire plus antique. Ausone, d’ailleurs, n’a rien de la mélancolie profonde que respirent les stances à Duperrier ; à peine surprend-on une légère nuance de ce sentiment dans les derniers vers : « Jeune fille, cueille des roses, tandis que la fleur est nouvelle et nouvelle ta jeunesse ; et souviens-toi que ta vie est fugitive comme leur durée. »