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AUSONE ET SAINT PAULIN.

envoyaient les sept provinces méridionales de la Gaule : « Telle est la commodité de cette ville, la richesse de son commerce, la multitude qui la fréquente, que quelque part qu’une chose naisse, c’est là qu’il est avantageux de la transporter. Il n’y a point de production spéciale dont une province s’estime heureuse que l’on ne puisse croire le produit propre de cette province arlésienne ; en effet, tout ce que le riche Orient, tout ce que la délicate Assyrie, la fertile Afrique, la belle Espagne et la forte Gaule ont de signalé, abonde tellement dans cette ville, que là semble naître tout ce qu’il y a de précieux ailleurs[1]. »

On voit que le rescrit impérial ne le cède guère en emphase aux vers d’Ausone. Ausone célèbre, avec une complaisance bien naturelle, sa ville de Bordeaux et son Aquitaine ; Bordeaux, déjà célèbre par son vin, insignem baccho ; l’Aquitaine, dont les mœurs étaient particulièrement élégantes et polies. L’Aquitaine était dès-lors une terre oratoire, elle l’a été jusqu’à nos jours, jusqu’à la Gironde. Ausone a pu adresser trente pièces de vers à trente professeurs de rhétorique de Bordeaux.

Les ouvrages d’Ausone sont surtout riches en détails sur la vie littéraire de cette époque, sur ce monde des rhéteurs et des grammairiens au sein duquel il vivait, et qui était le monde lettré d’alors. Quelques passages des pièces de vers dans lesquelles il a célébré ses trente collègues, peuvent servir à préciser nos idées sur ce sujet. Nous voyons qu’un grammairien était moins qu’un rhéteur. Selon qu’on étudiait l’antiquité dans les monumens grecs ou dans les monumens latins, on était un grammairien grec ou un grammairien latin. Ausone distingue ces deux classes. Un rhéteur était professeur d’éloquence et orateur dans les grandes circonstances. Ausone nous fait voir, par son propre exemple, la différence du grammairien et du rhéteur ; car avant d’être rhéteur, il avait été grammairien. Quelquefois on était l’un et l’autre en même temps. Un grammairien de Trèves donnait six heures de leçon par jour. Voilà un digne précurseur des laborieux professeurs de l’Allemagne. Il y avait de grandes différences entre les grammairiens. Les uns enseignaient aux enfans les élémens des lettres, d’autres étaient de véritables savans, des érudits, des philologues. L’un d’eux, suivant Ausone, s’occupait à comparer les législations de tous les peuples. Ceci montre à quelle hauteur scientifique pouvaient être portés les études et l’enseignement d’un grammairien. Ausone désigne cette profession par l’épi-

  1. Fauriel, Histoire de la Gaule méridionale, pag. 149.