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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

« Io non ho fatto giudizio delle figure, nè della sua bontà, perchè non mi è sta domandà. »

À la suite de cette mémorable matinée, le Titien donna un grand dîner à tous les peintres de la commission et à tous les mosaïstes couronnés. La petite Maria Robusti y parut vêtue en sibylle, et le Titien traça ce soir-là, d’après elle, l’esquisse de la tête de la Vierge enfant dans le beau tableau qu’on voit au musée de Venise. Le Bozza ne se montra point.

Le repas fut magnifique, on porta joyeusement la santé des lauréats. Le Titien observait avec étonnement le visage et les manières de Francesco. Il ne comprenait pas cette absence totale de jalousie, cet amour fraternel si tendre et si dévoué dans un artiste. Il savait pourtant que Francesco n’était pas dépourvu d’ambition ; mais le cœur de Francesco était plus grand encore que son génie. Valerio était ravi de la joie de son frère. Parfois il en était si attendri, qu’il devenait mélancolique. Au dessert, Maria Robusti porta la santé du Titien, et aussitôt après, Francesco, se levant, dit avec un front radieux, en élevant sa coupe : — Je bois à mon maître, Valerio Zuccato. Les deux frères se jetèrent dans les bras l’un de l’autre et confondirent leurs larmes.

Le bon prêtre Alberto s’égaya, dit-on, un peu plus que de raison, en buvant seulement quelques gouttes des vins de Grèce que les convives avalaient à pleines coupes. Il était si doux et si naïf, que toute son ivresse se tourna en expansion d’amitié et d’admiration.

Le vieux Zuccato vint à la fin du dîner ; il était de mauvaise humeur.

— Mille grâces, maître, répondit-il au Titien qui lui offrait une coupe ; comment voulez-vous que je boive un jour comme celui-ci ?

— N’est-ce pas le plus beau de votre vie, compère ? reprit le Titien ; et à cause de cela, ne faut-il pas vider un flacon de Samos avec vos amis ?

— Non, maître, répliqua le vieillard, ce jour n’est pas beau pour moi. Il enchaîne à jamais mes fils à un métier ignoble, et condamne deux talens de premier ordre à des travaux indignes. Grand merci ! je ne vois pas là sujet de boire.

Il se laissa pourtant fléchir lorsque ses fils portèrent sa santé. Puis la petite Maria vint jouer avec les boucles argentées de sa barbe, réclamant ce qu’elle appelait la grace de son mari.

— Ouais ! dit Zuccato, cette plaisanterie dure-t-elle encore, ma belle enfant ?