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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

matin, le tableau du Bozza est déjà très avancé, et l’on dit que ce sera un chef-d’œuvre ; voilà pourquoi tu es tourmenté, maître, mais rassure-toi, nos efforts…

— Tourmenté, moi ! s’écria Valerio ; et depuis quand donc suis-je tourmenté quand un de mes élèves se distingue ? et dans quel moment de ma vie m’avez-vous vu m’affliger ou m’inquiéter des triomphes d’un artiste ? En vérité ! je suis un envieux, moi, n’est-ce pas ?

— D’où te vient cette susceptibilité, mon bon maître ? dit Ceccato. Qui de nous a jamais eu une pareille pensée ? Mais dis-nous, nous t’en supplions, s’il est vrai que le Bozza ait tracé les lignes d’une admirable composition ?

— Sans doute ! répondit Valerio en souriant et en reprenant tout à coup sa douceur et sa gaieté ordinaires, il doit être capable de le faire, car je lui ai enseigné d’assez bons principes pour cela. Eh bien ! qu’avez-vous donc, tous, à prendre cette pose morne ? On dirait autant de saules penchés sur une citerne tarie. Voyons, qu’y a-t-il ? La Nina a-t-elle oublié le dîner ? Le procureur-caissier nous aurait-il commandé un nouveau barbarisme ?… Allons, enfans, à l’ouvrage ! il n’y a pas un jour à perdre, il n’y a pas seulement une heure, allons, allons, les outils ! les émaux ! les boîtes ! et qu’on se surpasse, car le Bozza fait de belles choses, et il s’agit d’en faire de plus belles encore.

Dès ce moment la joie et l’activité revinrent habiter le petit atelier de San-Filippo. Francesco sembla revenir à la vie en retrouvant dans tous ces regards amis l’éclair d’espérance, le rayon de joie sainte, qui avaient fait autrefois éclore les chefs-d’œuvre de la coupole Saint-Marc. Le doute s’était un instant posé sur toutes ces jeunes têtes, comme une voûte de plomb sur de riantes cariatides ; mais Valerio l’avait chassé avec une plaisanterie. L’effort immense de sa volonté s’était concentré au dedans de lui-même ; il ne le manifesta que par un surcroît d’enjouement. Mais une révolution importante s’était opérée dans Valerio, ce n’était plus le même homme. S’il n’avait pas mordu à l’appât de la vanité, s’il n’était pas devenu un de ces esprits jaloux qui ne peuvent souffrir la gloire ou le triomphe d’autrui, du moins il s’était dévoué religieusement à sa profession ; son caractère était devenu sérieux sous une apparence de gaieté. Le malheur l’avait rudement éprouvé dans la partie la plus sensible de son ame, en frappant les êtres qu’il aimait, et en lui démontrant, par de dures leçons, les avantages de l’ordre. Il venait aussi d’apprendre la cause du dénuement où Francesco, malgré son économie et la régularité de ses