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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

xx.

Malgré l’heureuse issue de ce procès, il s’en fallait de beaucoup que la fortune des Zuccati prît une face heureuse. La santé de Francesco se rétablissait lentement. Aucun nouveau travail public n’était commandé aux mosaïstes. On parlait même de s’en tenir là, et de conserver toutes les anciennes mosaïques bysantines, car les mœurs tournaient à l’austérité, et tandis que de sages lois somptuaires couvraient de deuil les manteaux et les gondoles, les gens les moins graves affectaient, par esprit d’imitation, de s’envelopper de longues toges romaines et de ne porter que des ornemens de fer et d’argent. Le mot d’économie était dans toutes les bouches ; la peste avait ébranlé le commerce, et comme les générations passent promptement d’un excès à l’autre, après un luxe ruineux et des dépenses insensées, on arrivait à des réductions sordides, à des réformes puériles. Les artistes subissaient les tristes chances de ce moment de panique financière. Le procurateur-caissier n’était pas un sot isolé, mais le représentant d’un grand nombre d’esprits étroits.

Francesco était tombé dans un profond découragement. Artiste enthousiaste, il avait désiré, il avait espéré la gloire. Il l’avait servie comme on sert une noble maîtresse, par de nobles sacrifices, par un culte ardent, exclusif. Pour toute récompense, il s’était vu exposé à une prison affreuse, à une mort imminente, à un procès infamant. En outre, le succès de ses chefs-d’œuvre était contesté. Les hommes ne voient pas impunément le malheur fondre sur une tête d’élite. Ils sont pris aussi du vertige de la médiocrité, et cherchent tous les moyens d’excuser et de légitimer les maux dont elle est frappée. C’était assez qu’on eût trouvé un petit fragment de bois dans une des figurines des Zuccati, pour qu’aussitôt tout le public pensât que la mosaïque entière était exécutée en bois. Les bourgeois allaient même jusqu’à dire qu’elle était en papier, et, convaincus de son peu de solidité, ils auraient cru manquer de patriotisme en levant la tête pour admirer la beauté des figures. Le jeune artiste était donc blessé au fond de l’ame et souffrait d’autant plus qu’il cachait sa blessure avec soin, et méprisait trop le public pour lui donner la satisfaction de le voir vaincu. Retiré au fond de sa petite chambre à San-Filippo, il passait ses journées à la fenêtre, absorbé dans de tristes pensées, et n’était plus distrait de sa douleur que par la contemplation des