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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

avec le sens et l’origine de tous ces marbres mutilés, que nous croyons entendre plutôt un exilé qu’un voyageur. Chacun des regrets qu’il exprime est empreint d’une telle sincérité, qu’il a l’air d’avoir vécu long-temps dans la société de ces ruines, et qu’il nous impose toutes ses sympathies. Un des plus grands charmes du Campo Vaccino, c’est l’alliance à peu près constante du caractère pittoresque et de l’interprétation morale du paysage. Cette alliance, pour se soutenir sans singularité, exigeait à la fois une grande finesse de coup d’œil et une grande sérénité de pensée ; M. Barbier, nous devons le dire, n’a manqué à aucune de ces deux conditions. Il décrit les ondulations du terrain, la succession des plans, l’ordonnance des ruines et le jeu de la lumière, avec une précision, une clarté digne de Claude Gelée, et, en même temps, il dit avec une simplicité austère, avec une élégance pleine de sobriété, les pensées que ces ruines éveillent dans son ame ; il peint et il explique, il dessine et il commente la campagne romaine, de façon à satisfaire le regard et l’intelligence. Par une transition naturelle, il va des ruines romaines aux grandes morts qui ont affligé le domaine de l’art, il passe de Rome à Goëthe, et cette comparaison concilie, par un admirable accord, la justesse et la vivacité. Tous les esprits qui ont étudié Goëthe ailleurs que dans Faust et dans Werther, reconnaissent, en effet, dans le poète allemand un fonds de paganisme invincible. Goëthe avait beau se proposer Shakespeare pour modèle dans Goetz de Berlichingen et dans Egmont, dans son Iphigénie, dans ses poésies lyriques, il se rapproche de Sophocle et de Phidias ; et la manière, inexpliquée jusqu’ici, dont il était parvenu à subjuguer, à régir l’inspiration, le rattache évidemment aux traditions de la statuaire païenne. C’est pourquoi M. Barbier a eu raison de confondre dans un commun regret les ruines de Rome et la mort de Goëthe.

Le ton de Chiaia, c’est-à-dire du troisième chant du Pianto, n’est, à proprement parler, ni celui du Campo Santo, ni celui du Campo Vaccino. Après la manière de Dante et la manière de Claude Gelée, nous avons celle de Théocrite et de Virgile. Le dialogue de Salvator et du pêcheur sur la liberté déchue rappelle, en effet, d’une façon frappante, les chants alternés des pâtres siciliens. Les images que chacun des deux interlocuteurs appelle à son aide, la limpidité du langage dans lequel il exprime sa pensée, la brièveté sentencieuse avec laquelle il peint ses regrets et ses espérances, sont de la même famille que les premiers chants virgiliens. Entre les paroles du pêcheur et celles de Salvator il y a pourtant une diversité habilement