Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/684

Cette page a été validée par deux contributeurs.
680
REVUE DES DEUX MONDES.

ceau. Quand Vincent Bianchini vit que je ne servais pas ses desseins à son gré, il s’emporta contre moi et m’accusa de complicité avec les Zuccati. Monsignor Melchiore me fit beaucoup de menaces qui m’irritèrent au point que je lui dis de se méfier des Bianchini. Le soir même je fus arrêté et conduit aux plombs. Depuis ce jour j’ai pensé que mes anciens maîtres étaient innocens, et que l’homme capable de me demander un faux serment était bien capable aussi d’avoir, pendant la nuit, à l’insu des Zuccati et de tout le monde, détruit une partie de la mosaïque et remplacé la pierre par le bois et le carton, afin d’avoir un moyen de les perdre. Je dois déclarer que cette substitution est faite avec tant d’art, qu’à moins de gratter les fragmens (i pezzi), il est impossible de s’en apercevoir.

Ainsi parla le Bozza d’une voix ferme et avec une prononciation bolonaise très lente et très distincte. Sommé de s’expliquer sur les divertissemens continuels auxquels Valerio se livrait, il avoua que souvent ce jeune maître avait été repris de paresse et de dissipation par son frère aîné, et qu’il réparait ensuite le temps perdu en travaillant de nuit, ce qui pouvait confirmer le reproche que lui adressait l’accusation d’avoir fait (fuor di stagione) des travaux sans solidité. Il déclara aussi que Valerio connaissait le métier moins bien que son frère et faisait beaucoup d’objets de parure pour son compte particulier. En un mot, il fut aisé de voir dans sa déposition qu’il n’était pas porté à la bienveillance pour les Zuccati, et qu’il n’eût pas été fâché de leur nuire en disant la vérité, mais qu’il avait horreur du mensonge dans lequel on avait voulu l’attirer, et qu’il ne pardonnerait jamais aux Bianchini de l’avoir fait mettre aux plombs.

Le conseil ferma la séance de ce jour en nommant une commission de peintres chargée d’examiner sous les yeux des procurateurs la besogne des deux écoles rivales. Cette commission fut composée du Titien, du Tintoret, de Paul Véronèse, de Jacopo Pistoja, et d’Andrea Schiavone, qui, depuis ce temps, fut surnommé Medola, par allusion au soin qu’il avait pris d’analyser la mosaïque jusqu’à la moelle.

xviii.

Le lendemain, ces maîtres illustres, accompagnés de leurs ouvriers, des procurateurs et des familiers du saint-office, se rendirent à Saint Marc, et procédèrent à l’examen des travaux de mosaïque. À la requête des Bianchini, on commença par leur arbre généalo-