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devant Bartolomeo Bozza, pour aller s’asseoir sur le banc des accusés, il leva ses deux bras chargés de fers, comme s’il eût voulu l’écraser, et son visage rayonnant de fureur sembla vouloir le faire rentrer sous terre. Les gardes l’entraînèrent, et il s’assit, tenant toujours la main de Francesco dans sa main froide et tremblante.

— Francesco Zuccato, dit un juge, vous êtes accusé de dol et de fraude envers la république, qu’avez-vous à répondre ?

— Je répondrai, dit Francesco, que je pourrais tout aussi bien être accusé de meurtre et de parricide, si c’était le bon plaisir de ceux qui me persécutent.

— Et moi, dit impétueusement Valerio en se levant, je réponds que nous sommes sous le poids d’une accusation infâme, et que nous languissons depuis trois mois sous les plombs, d’où mon frère est sorti mourant, le tout parce que les Bianchini nous haïssent, et que Bozza, notre élève, est un misérable, mais surtout parce que le procurateur monsignor Melchiore a fait une faute de latinité que nous nous sommes permis de corriger. C’est la première fois que deux citoyens vont aux plombs pour n’avoir pas voulu faire un barbarisme.

L’emportement du jeune Zuccato n’était pas fait pour lui concilier la bienveillance des magistrats. Le vieux Sébastien, voyant le mauvais effet de sa harangue, se leva et dit :

— Taisez-vous, mon fils, vous parlez comme un fou et comme un insolent. Ce n’est pas ainsi qu’un honnête citoyen doit se défendre devant les pères de la patrie. Messeigneurs, excusez son égarement. Ces pauvres jeunes gens sont troublés par la fièvre. Examinez leur cause selon votre impassible équité ; s’ils sont coupables, châtiez-les sans pitié, leur père sera le premier à vous louer de cet acte de justice et à bénir les lois sévères qui répriment la fraude. Oui, oui, fallût-il verser leur sang, moi-même je le ferais, mes pères, plutôt que de voir tomber en discrédit le pouvoir auguste de la république. Mais s’ils sont innocens, comme j’en ai la conviction et la certitude, faites-leur prompte et généreuse merci, car voici mon aîné qui n’a plus qu’un souffle de vie, et quant au plus jeune, vous voyez qu’il est sous l’influence du délire.

En parlant ainsi d’une voix forte, le vieillard tomba sur ses genoux, et deux ruisseaux de larmes coulèrent sur sa longue barbe blanche.

— Sébastien Zuccato, répondit le juge, la république connaît ta probité et ton dévouement ; tu as parlé comme un bon père et comme