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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

puérils l’occupaient incessamment et le mettaient à même d’exercer une profession lucrative à San-Filippo, pendant que la république lui payait chèrement un travail qu’il ne faisait pas, et qu’il ne pouvait pas faire ;

4o D’avoir, par une détestable friponnerie, remplacé en beaucoup d’endroits les compartimens d’émail et de pierre (i pezzi) par le bois et le carton peints au pinceau, afin de montrer des finesses de travail dont les matériaux de la mosaïque ne sont pas susceptibles, et de se donner un grand mérite d’artiste durant leur vie, sauf à laisser des ouvrages qui n’auraient pas une plus longue durée.

Les pièces de cet étrange procès se trouvent encore dans les archives du palais ducal, et le signor Quadri en a extrait la fidèle relation qu’on peut lire dans un article intitulé dei Musaïci, placé à la fin de son excellent ouvrage sur la peinture vénitienne.

Les accusateurs étaient le procurateur-caissier Melchiore, Bartolomeo Bozza, les trois Bianchini, Jean Visentin, et plusieurs autres élèves de leur école, enfin Claude de Corrége, organiste de Saint-Marc, qui détestait le bruit des ouvriers, et qui eût également témoigné en faveur des Zuccati contre les Bianchini, espérant qu’ennuyé de ces querelles et de ces dilapidations, le gouvernement renoncerait à des réparations ruineuses, dont le principal inconvénient aux yeux de l’organiste était de déranger par un bruit continuel l’école de plain-chant qu’il tenait dans la tribune de l’orgue.

Les témoins en faveur des Zuccati étaient le Titien et son fils Orazio, le Tintoret, Paul Véronèse, Marini, Ceccato, et le bon prêtre Alberto Zio. Tous comparurent devant le conseil des dix et soutinrent le grand talent, le beau travail, l’honnête conduite, l’humeur laborieuse, et l’exacte probité des frères Zuccati et de leur école.

À leur tour, les frères Zuccati furent amenés devant les juges ; Valerio soutenait dans ses bras son frère chéri, à peine rétabli de sa longue et cruelle maladie, languissant, accablé, indifférent en apparence à l’issue d’une épreuve qu’il n’avait plus la force de supporter. Valerio était pâle et défait. On lui avait procuré des vêtemens, mais sa longue barbe, sa chevelure mal soignée, sa démarche brisée, un certain tremblement convulsif, attestaient ses souffrances et ses douleurs. Indifférent à ses propres maux, mais indigné de l’injustice faite à son frère, il avait enfin pris la vie au sérieux. La colère et la vengeance étincelaient dans son regard. Un feu sombre jaillissait de ses orbites creusés par la faim, la fatigue et l’inquiétude. En passant