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LES MAÎTRES MOSAÏSTES.

sincérité forcée de l’ivresse. Il est même assez curieux de rapporter ici certains statuts de cette constitution bachique.

« Ne sera point admis quiconque, ayant bu six mesures de vin de Chypre, tombera dans l’idiotisme.

« Ne sera point admis quiconque, à la septième mesure, babillera au détriment d’un ami ou d’un compagnon.

« Ne sera point admis quiconque, à la huitième mesure, trahira le secret de ses amours et dira le nom de sa maîtresse.

« Ne sera point admis quiconque, à la neuvième mesure, livrera les confidences d’un ami.

« Ne sera point admis quiconque, à la dixième mesure, ne saura pas s’arrêter et refuser de boire. »

Il serait difficile aujourd’hui de déterminer quelle était cette mesure de vin de Chypre ; mais si nous en jugeons par le poids des armures qu’ils portaient au combat, et dont les échantillons formidables sont restés dans nos musées, il est à croire qu’elle ferait reculer aujourd’hui les plus intrépides buveurs.

Les compagnons du Lézard portaient, comme leur chef, le pourpoint vert et le reste de l’habillement blanc, collant ; mais ils avaient le pourpoint de dessous en soie jaune, la plume écarlate, et l’écusson noir et argent.

Quand la compagnie eut promené et montré suffisamment ses costumes et ses bannières, elle rentra sous sa tente, et vingt paires de chevaux parurent dans l’arène. C’était un luxe fort goûté à Venise que d’introduire ces nobles animaux dans les fêtes ; et, comme si l’idée que s’en formait un peuple peu habitué à en voir, ne pouvait pas être satisfaite par la réalité, on les métamorphosait, à l’aide de parures fort bizarres, en animaux fantastiques. On peignait leur robe, on leur adaptait de fausses queues de renard, de taureau ou de lion ; on leur mettait sur la tête, soit des aigrettes d’oiseaux, soit des cornes dorées, soit des masques d’animaux chimériques. Ceux que la compagnie du Lézard fit paraître étaient plus beaux et par conséquent moins follement travestis qu’il n’était d’usage à cette époque. Néanmoins quelques-uns étaient déguisés en licornes par une longue corne d’argent adaptée au frontal de leur bride, d’autres avaient des dragons étincellans ou des oiseaux empaillés sur la tête ; tous étaient peints en rose, en bleu turquin, en vert pomme, en rouge écarlate ; d’autres étaient rayés comme des zèbres ou tachetés comme des panthères ; à d’autres on avait simulé les écailles dorées des grands poissons de mer. Chaque paire de chevaux, pareillement har-