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CRITIQUES ET MORALISTES FRANÇAIS.

tois, le pays de Vaud paya son plein tribut à notre prose par les écrits du réformateur Viret, réputé le plus doux et le plus onctueux des théologiens de ce bord. Dans sa patrie, voisine de celle de Calvin, il tenta un rôle pareil avec plus de modération, et en aidant également sa doctrine d’une phrase saine, abondante et claire. Persécuté à Lausanne, où il portait ombrage aux Bernois, il dut à la mère d’Henri IV un asile en Béarn, où il mourut. On a de lui une préface[1], où il se prononce en défenseur de la langue vulgaire sans mélange de mots étrangers : on y sent, à quelques traits contre ceux qui forgent un langage tout nouveau, le contemporain sévère de Rabelais et de Ronsard. Par Duperron, né en son sein, mais qu’il renvoya à la France, le pays de Vaud fut pour quelque chose dans l’établissement littéraire qui suivit, et ne demeura pas inutile à l’introduction de Malherbe, qui eut, comme on sait, le célèbre cardinal pour patron. Le xviiie siècle fit sur ce pays la même impression que par toute l’Europe : il y eut soumission, adhésion absolue et hommage. Jusqu’au milieu du xviiie siècle, la connaissance, le goût, l’imitation des chefs-d’œuvre et du style des grands écrivains classiques furent d’extrême mode dans la haute société de Lausanne. On en a des témoignages écrits et spirituels. Dans le volume de Lettres recueillies en Suisse, par le comte Golowkin[2], parmi des particularités piquantes qui ajoutent à l’histoire littéraire de Voltaire et de quelques autres noms célèbres, il se trouve, de femmes du pays, plusieurs lettres, qui rappellent heureusement la vivacité de Mme de Sévigné, dont la personne qui écrit se souvient elle-même quelquefois. Enjouement, moquerie, savoir, mouvement animé, et un peu affecté, je le crois sans peine, c’étaient, à ce qu’il semble, les traits de la belle compagnie d’alors. Rousseau a jugé, avec assez de sévérité, la société de ce temps, et ce ton que Claire d’Orbe ne représente pas mal, quoi qu’il en dise. Nulle part surtout, plus qu’au pays de Vaud, on n’avait la science de nos classiques : on y savait Boileau et le reste par cœur. Encore aujourd’hui, c’est là, en quelqu’un de ces villages baignés du lac, à Rolle peut-être, qu’il faudrait chercher des hommes qui savent le mieux le siècle de Louis XIV à toutes ses pages, et qui feraient les pastiches de ces styles les plus plausibles et les moins troublés d’autres réminiscences. Les séjours de Voltaire, de Rousseau, dans ces pays, en rajeunirent à temps la littérature, et la firent

  1. Avertissement en tête des Disputations chrétiennes, 1552.
  2. Genève, 1821.