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jets tant de fois étudiés et connus. Vue hors de France, et pourtant en pays français encore de langue et de littérature, cette littérature française est comme un ensemble de montagnes et de vallées, observées d’un dernier monticule isolé, circonscrit, lequel, en apparence coupé de la chaîne, y appartient toujours, et sert de parfait balcon pour la considérer avec nouveauté. Il en résulte aux regards quelque chose de plus accompli. Les lignes et les grands sommets y gagnent beaucoup, et reparaissent bien nets. Quelques-uns qu’on oubliait se relèvent ; quelques autres, qui font grand effort de près et quelque apparence, s’enfoncent et n’offusquent plus. Les proportions générales se sentent mieux, et les individus de génie détachent seuls leur tête.

On y gagne enfin de bien voir autour de soi cette partie, à la fois isolée et dépendante, sur laquelle on se trouve, et qu’on ne songeait guère à découvrir quand on était dans la vie du milieu et dans le tourbillon du centre. On y gagne de connaître une culture, d’un intérêt général aussi, qui reproduit en moins, mais assez au complet, les grands mouvemens de l’ensemble, et les fait revoir d’un jour inattendu dans une sorte de réflexion secondaire. On a chance encore d’y rencontrer quelques hommes parmi lesquels il en est peut-être d’essentiels, et qui importent à l’ensemble de la littérature elle-même.

La Savoie, Genève et le pays de Vaud, forment, littérairement parlant, une petite chaîne dépendante de la littérature française, qu’on ne connaît guère au centre, et qu’on ne nommerait au plus que par les noms de De Maistre, de Jean-Jacques et de Benjamin Constant, qui s’en détachent. Le pays de Vaud, pour m’y borner en ce moment, eut pourtant un développement ancien, suivi, tantôt plus particulier et plus propre, tantôt plus dépendant du nôtre, et réfléchissant, depuis deux siècles, la littérature française centrale, mais, dans tous les cas, resté beaucoup plus distinct que celui d’une province en France. Au moyen-âge, la culture et la langue romanes, qui remontaient par le Rhône, furent celles de ce pays. À défaut de chants héroïques perdus, on a plusieurs vieilles chansons familières, piquantes ou touchantes, et demeurées populaires à travers les âges. Le ranz des vaches de cette contrée, le ranz des Colombettes, celui, entre les divers ranz, auquel l’air célèbre est attaché, a de plus une petite action dramatique, vive de couleur et de poésie[1]. Au xvie siècle, époque où la langue française, dès auparavant régnante, achève de prendre le dessus et de reléguer le roman à la condition de pa-

  1. Voir le Canton de Vaud, sa Vie et son Histoire, par M. Olivier, tom. i, liv. ii.