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REVUE. — CHRONIQUE.

quelque rôle d’Astaroth ou de Belzébuth dont il ferait son profit. De la sorte, la Juive pourrait se reposer pendant les répétitions de Cosme de Médicis, et le public n’y perdrait rien, car la musique de la Tentation est encore de M. Halévy, comme chacun sait. En attendant que ces combinaisons se réalisent, on s’occupe fort de la Muette, qui va se produire dans quelques jours avec deux élémens infaillibles de succès et de fortune, Duprez et Fanny Elssler. À propos de Fanny Elssler, elle est rentrée hier, par le Diable boiteux, plus jeune, plus vive, plus harmonieuse que jamais, et les bouquets sont tombés à ses pieds comme à Vienne, comme à Baden, comme partout.

Le théâtre de la Bourse, qui poursuit, été comme hiver, le succès avec une persévérance infatigable, vient enfin d’en trouver un légitime et de bon goût, qui, pour s’être fait sans un grand bruit d’annonces et d’applaudissemens, n’en mérite pas moins toute l’attention de la critique, car il recommande au public un nom tout jeune et qu’entourent de grandes espérances. La Double Échelle est un de ces petits opéras de la famille d’Actéon, qui doivent réussir, car chacun y trouve son compte. Les vieux habitués de l’orchestre, qui portent cannes à pomme d’ivoire et parlent de Mme Saint-Aubin en rajustant leurs perruques, peuvent s’attacher avec ferveur à suivre les combinaisons plus ou moins laborieuses d’une intrigue, après tout assez divertissante, et se réjouir à leur aise des bons mots du Trial qui leur rappelle les beaux jours. Quant aux gens plus sérieux qui veulent, dans un opéra, trouver de la musique, il y a là pour eux un quintette et un duo d’assez bonne école pour qu’ils s’en contentent. — Il s’agit beaucoup, dans l’opéra de M. Planard, d’un sénéchal qui a épousé en cachette une présidente, veuve depuis six mois, et qui sort tous les matins de chez elle, à la première aube, au premier chant de l’alouette, non comme Roméo à l’aide d’une échelle de soie, mais plus prudemment, et comme il convient à un homme de son poids et de sa qualité, au moyen d’une échelle de bois peint en vert, et solidement fixée à terre. Il est fort question aussi d’un certain chevalier ridicule, qui, pour s’introduire plus facilement auprès de sa cousine, imagine de prendre avec lui une grosse commère qu’il donne pour sa femme, et qui se trouve justement mariée à je ne sais quel rustre venu par hasard au château, pour tailler les arbres du jardin. De là, toutes sortes de méprises et de rencontres, qui aboutissent, pendant une heure, à des combinaisons plus ingénieuses que musicales. Comme on le voit, il y a dans la pièce de M. Planard tous les élémens premiers d’un opéra comique du bon temps : rien n’y manque, ni la présidente, ni le sénéchal, ni le chevalier, ni le jardinier, ni le bosquet de roses. À tout prendre, tout l’Opéra-Comique est là. Ôtez à l’Opéra-Comique son bosquet de roses, toujours en fleurs, que lui restera-t-il ? Où voulez-vous que Lucas se mette pour surprendre les amours nocturnes de Colette avec le seigneur du village, et Lubin où se cachera-t-il, pour imiter le chant du rossignol sur sa flûte ? Quoi qu’on en puisse dire, l’Opéra-Comique est tout entier dans le bosquet de roses, il est sur le balcon de la présidente qui soupire, il est dans la bouteille du gros jardinier et sous la perruque du président. Telle qu’elle est, cette pièce peut, à bon droit, passer pour l’une des meilleures bouffonneries du théâtre de la Bourse ; avec un peu plus de finesse et de bon goût, et surtout avec un peu moins de recherche dans ce qu’on appelle aujourd’hui les moyens