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REVUE. — CHRONIQUE.

fait le miracle, qui sait ? Vous verrez qu’à son retour, Rubini aura le front de vouloir nous prouver qu’il est toujours, quoi qu’on fasse, le premier ténor de ce temps, et qu’il gagnera la partie sans conteste. On parle encore du début, dans Arsace, d’une jeune cantatrice douée d’une fort belle voix de contralto et que Rossini affectionne : Mlle d’Erlo. Avec un ensemble aussi complet, l’administration ne serait plus en droit de retenir loin de la scène certains chefs-d’œuvre du répertoire de la Pisaroni, laissés là depuis long-temps.

L’activité de l’Opéra ne se dément pas. Si les partitions nouvelles font défaut, les débuts se succèdent avec une rapidité singulière. Duprez n’a pas eu le temps de se produire encore dans tous ses rôles, que déjà voici Mme Stoltz. Il ne dépendra plus désormais de Mlle Falcon d’interrompre, par son absence, le succès des grands ouvrages du répertoire. C’est l’affaire d’un directeur habile de se soustraire ainsi, quand il le peut, à cette domination que ne manquent jamais d’exercer les cantatrices qui se sentent seules maîtresses de leur emploi. Je dis quand il le peut, car pour cela il ne suffit point seulement d’une volonté énergique, il faut encore que le talent dont on veut secouer l’humeur impérieuse, soit de ceux que certains voisinages inquiètent et diminuent, et que cela se passe dans une sphère inférieure. Ce que l’Académie royale a presque toujours tenté avec succès à l’égard de ses premières cantatrices, elle n’a jamais pu le faire complètement pour les premiers ténors, qui, de tout temps, par la vertu singulière de leur talent et la vive sympathie qu’ils ont trouvée dans le public, se sont maintenus trop haut pour que les petits calculs d’administration puissent les atteindre. Il est bien évident que jamais M. Lafont n’a remplacé Nourrit, pas plus que M. Alexis ou tout autre de cette force ne remplacerait aujourd’hui Duprez. Tout au contraire, Mme Stoltz s’empare en une fois du répertoire de Mlle Falcon, et lève à ses côtés une rivalité dangereuse. Voilà qui est plus fâcheux peut-être pour Mlle Falcon que glorieux pour Mme Stoltz, qu’on aurait bien tort de prendre à l’heure qu’il est pour une grande cantatrice. Qu’on ne s’y trompe pas, ce qui a tant contribué à pousser la réputation de Mlle Falcon à ce point où elle s’est arrêtée si tôt, c’est moins peut-être la supériorité plus ou moins contestable de son propre talent, que la déplorable faiblesse des jeunes filles sans expérience qu’on a lancées au hasard dans ses rôles. On sait aujourd’hui que penser d’une réputation qu’une cantatrice étrangère du second ordre peut ainsi réduire sans fonder la sienne. — La voix de Mme Stoltz parcourt avec aisance toute la gamme du soprano le plus étendu. Les cordes basses ont quelque chose de voilé qui leur donne parfois une expression charmante, les notes hautes sortent bien ; mais c’est surtout dans le milieu qu’elle se développe dans toute son ampleur et sa magnificence. Lorsque le mouvement se ralentit, que tout se combine autour d’elle à souhait, la voix de Mme Stoltz a des vibrations d’une sonorité métallique, et telles que l’émission brute vous ravit ; car Mme Stoltz, elle aussi, aspire à ralentir la mesure ; seulement ici le grand art du chanteur ne vient pas, comme chez Duprez, fort à propos, pour farder la nécessité et lui donner un air délibéré auquel le public se laisse prendre. Cette nécessité, pour Mme Stoltz, de chanter presque toujours plus lentement qu’il ne convient, ne fait que mettre à nu davantage la pauvreté de sa manière. Il y a encore entre Duprez et Mme Stoltz certaines ressemblances qui vous frappent, surtout dans les dé-