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conduit sa symphonie ; et l’on appelle cela de la musique d’été ! une musique qui se fait avec d’horribles pots de flammes du Bengale, avec des chaises qu’on brise et des cloches qu’on met en branle. Vraiment, il faut avouer que la flûte de Lubin qui charmait les ombrages au temps de cet excellent M. Lebrun, valait encore cent fois mieux que ces saturnales inventées de nos jours. Au moins cette flûte, si niaise et si ridicule dans ses prétentions d’imiter la voix du rossignol, pouvait s’exercer du soir au matin sans ruiner l’arbre sous lequel elle roucoulait ; mais quelle végétation serait capable de résister à de pareilles musiques ? Quels bourgeons voulez-vous qu’ils poussent au printemps à ces arbres où vous suspendez des cloches, qu’on tire à tour de bras, et que vous incendiez chaque soir ? Ah ! pitié pour les pauvres arbres du boulevart, le seul ombrage de ce peuple, dont vous prenez à tâche de briser le tympan et de pervertir le goût. Voilà pourtant à quoi devait aboutir le système imprudent où des maîtres illustres et sérieux ont engagé la musique ! Du jour où le succès a proclamé que le sentiment de la sonorité pouvait tenir lieu du sentiment divin de la mélodie, chacun s’est creusé le cerveau pour y trouver un moyen de faire plus de bruit que son voisin. Le plus mince échappé du Conservatoire se croirait déshonoré s’il lui arrivait une fois de ne se servir que des instrumens employés par Beethoven ou Mozart. Comment donc son génie pourrait-il s’exercer en un champ si étroit ? Chaque jour invente des ressources nouvelles, auxquelles ces deux grands maîtres n’avaient pas songé ; hier c’était le cornet à piston ; aujourd’hui c’est la cloche, demain ce sera la chaise cassée, qui viendra, tout en boitant, demander droit de cité dans l’orchestre. La nomenclature s’accroît à toute heure ; Rossini lui-même serait fort dépourvu s’il voulait se mêler d’écrire. On se passerait, au besoin, de violons, de flûtes et de cors, mais de grosses caisses, de triangles et de cimballes, non pas, vive Dieu ! Enfin, pour ne citer qu’un exemple, M. Batton, celui de tous les compositeurs dont le nom éveille les pensées les plus riantes et les plus douces, sinon les plus mélodieuses, l’homme des frais jasmins, des bruyères tremblantes et des coquelicots épanouis ; le musicien dont la fantaisie aimable a créé tant de pleurs auxquelles la nature n’avait pas pensé, M. Batton quitte, l’autre jour, ses bucoliques pour écrire un opéra qui a pour titre le Remplaçant, et dans l’ouverture de cet opéra ne trouve rien de plus ingénieux à mettre qu’une cloche, une cloche énorme, qui étouffe sa musique sous son poids ! À tout prendre, j’aime mieux l’orchestre de Dieppe où l’Océan fait sa partie.

Mais patience, encore quelques jours, et le Théâtre-Italien ouvrira ses portes. Aux noms accoutumés que le public affectionne, le programme de cette année en a joint plusieurs nouveaux à la tête desquels figure celui de la Tacchinardi, la voix la plus agile et le plus gracieux talent de l’Italie, à l’heure qu’il est. Du reste, c’est toujours Rubini, toujours la Grisi, Tamburini et Lablache. Rubini, l’infatigable chanteur, qui ne se repose jamais, vient de profiter du court loisir que lui laisse la clôture du théâtre de Londres, pour s’en aller rendre visite à ses dignes compatriotes de Bergame. Il est allé là naïvement, comme dans sa famille, pour donner à sa ville natale la part qui lui revient de ce magnifique talent, qui cessera de se produire sitôt qu’il cessera de grandir. Voilà qui nous promet de vives sensations musicales cet hiver ; il faut que cette voix merveilleuse ait trouvé en soi de nouvelles ressources pour que Rubini juge le temps venu d’aller la faire entendre en Italie. Le grand succès de Duprez pourrait bien avoir