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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

prédire tous les jours, comme infaillibles, des choses qui n’arriveront jamais. O’Connell peut faire une guerre acharnée à la pairie anglaise, et la pairie anglaise se venger par des roueries peu dignes d’elle ; les Saint-Kildains s’en inquiètent peu. Savent-ils seulement ce que c’est qu’un pair ? ce que c’est qu’O’Connell ? Placés à quelques centaines de milles seulement de l’Irlande, ils sont hors de l’action du levier manié par le grand agitateur. À soixante milles des terres écossaises, dont on ne sait trop s’ils font partie, ils échappent aux collecteurs écossais, et l’impôt qu’ils paient à un laird, leur voisin, est un cadeau qu’ils veulent bien lui faire. Ils n’ont pas de gouvernement, et ils savent s’en passer ; ils n’ont pas de lois, et ils n’en ont pas besoin ; ils n’ont pas même de médecins, et il ne paraît pas qu’ils s’en portent plus mal, et qu’ils meurent plus jeunes qu’ailleurs. Ils n’ont qu’une seule occupation sérieuse : la chasse, ce plaisir de grand seigneur ; la chasse, qui les distrait, qui les fait vivre, qui leur donne une nourriture abondante, des vêtemens chauds, et tous les soirs un lit de duvet. Ils ont, par-dessus tout cela, l’élément le plus certain de bonheur, la modération des désirs. Où serait donc le bonheur, s’il n’habitait l’ile de Hirta. ?

— Autour d’une table bien servie, by Jove, s’écria sir Thomas en m’interrompant à son tour, et dans un instant nous allons en avoir la preuve. Le dîner de Kitty et le dîner du presbytère réunis nous attendent, et notre cher ministre nous a promis d’être des nôtres Allons ! —

Et, en achevant, le digne baronnet mettait pied à terre sur les rocailles de la baie.

— Quant à messieurs de Hirta, je ne veux pas les inviter à pareille fête. Je craindrais de troubler leur bonheur en leur donnant des désirs qu’ils ne doivent pas avoir, et en leur faisant connaître des joies qu’ils ne peuvent même rêver, ajouta-t-il en riant.

Le ministre nous suivit sans trop de façon. À table, il fit honneur au repas : il trouva nos conserves de chevreuil, de coqs de bruyère et de faisans aussi délicates que le meilleur gibier de l’île, quoique ce gibier, assaisonné à la mode de Hirta, c’est-à-dire rôti ou cuit au four, fût excellent. Le porto et le champagne lui parurent préférables à l’eau de Tober-nam-Bay ; il l’avoua hautement et nous le prouva largement. Sir Thomas lui sut un gré infini de cette double manière d’être franc, et à la fin du repas, en portant un toast à la prospérité des habitans de Hirta et à la santé de leur digne ministre, il lui avoua cordialement qu’il avait été content de lui ; compliment dont sir Thomas était fort avare, et qui prouvait, avant tout, que celui qui en était l’objet avait bu comme une éponge et mangé comme un crocodile. Le brave curé ne nous quitta que le lendemain au point du jour, au moment où le mécanicien de Kitty allait mettre en mouvement les nageoires du petit navire. Notre homme, qui, le soir, avant de s’endormir dans l’un des coins de la cabine, était allègre et dispos, comme David dansant devant l’arche, avait dans cet instant un aspect tout-à-fait morose.

— Hahnemann l’homœopathe serait content, dit sir Thomas en riant, s’il