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SOUVENIRS D’ÉCOSSE.

bout de la corde, comme le requin accroché au hameçon bondit au bout de la chaîne du pêcheur. Cet effort fut vain.

Les secousses de Harris lui firent perdre l’équilibre ; Power glissa lentement de son côté. Déjà son corps pendait en entier sur le précipice, que ses mains s’efforçaient encore de saisir le bord du rocher dans lequel ses ongles entraient. Les secousses répétées de son compagnon l’en arrachèrent, et tous deux, liés encore chacun aux deux bouts de la courroie, tourbillonnant dans les airs, et décrivant des cercles effrayans, arrivèrent au fond de l’abîme, sans qu’une seule fois dans leur chute, de plus de mille pieds perpendiculaires, ils eussent touché la paroi du roc. Tous deux se brisèrent du même coup sur les pointes des rescifs, qui à la marée basse hérissent la surface de la mer, au pied du Conachan. Quand plusieurs autres chasseurs qui de loin avaient entendu leur terrible dialogue, qui avaient été témoins de leur dernière lutte, et qui accouraient pour sauver leur compatriote, furent, après bien des efforts, parvenus à l’endroit où ils étaient tombés, ils les trouvèrent encore liés tous deux à la fatale courroie. L’écume et le sang sortaient de la bouche et des narines de Power, qui semblait avoir expiré dans les convulsions de la rage. La figure de Harris était plus calme. Sans doute, après s’être aussi terriblement vengé, sa dernière pensée avait été une pensée de pardon. Des papiers que l’on trouva dans l’une des poches de la veste de Power, et qu’on m’apporta, car j’étais alors le seul homme dans l’île qui sût lire, m’apprirent que Power faisait partie de l’équipage d’un corsaire américain, dont le commandant, sans doute à la suite de quelque acte d’insubordination, l’avait fait jeter dans notre île.

— Et la morale de tout cela, c’est qu’à Hirta il n’y a eu qu’un seul vaurien, et que ce vaurien était Irlandais, s’écria sir Thomas à qui le long silence qu’il avait été obligé de garder pendant le récit du ministre commençait à peser ; d’où nos logiciens, chercheurs de l’absolu, ne manqueront pas de conclure que tous les Hirtains sont des gens vertueux, et tous les Irlandais des vauriens.

— La logique a été absurde de tout temps, elle a été l’arme la plus terrible des fanatiques et des imbéciles ; je lui préfère l’expérience. On fait les règles d’après l’expérience, mais jamais on ne fera ni on ne donnera de l’expérience avec les règles.

— À merveille ! si nos philosophes d’Édimbourg, nos Bacon d’aujourd’hui, qui font des revues mensuelles comme on faisait autrefois des in-folio, vous entendaient, ils vous sauteraient au cou et ne vous laisseraient pas en paix qu’ils ne vous eussent monnayé en articles, car nos amis n’aiment guère la logique. Moi, j’aime à en rire par instans, et cependant je suis logicien comme Bentham…

Ce mot me fit frémir, et me réveilla comme en sursaut. Que venait faire Bentham à Hirta ?… Je me hâtai de détourner le cours des pensées de sir Thomas, avant qu’il eût enfourché son dada favori.

— La chasse est terminée, lui dis-je, et là-bas je vois dans la baie Kitty