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trempé si habilement le métal amolli de la latinité impériale, que son vers pénètre dans la chair comme la pointe de l’épée. Mais, quel que soit le mérite de la satire sur les vœux et de la satire sur les femmes, nous ne pouvons méconnaître la monotonie de ces deux pièces. La parole de Juvénal étincelle et retentit comme le fer sur l’enclume ; mais cet éclat, cette sonorité, fatiguent bientôt. La perpétuelle répétition des mêmes procédés, les coups multipliés qui s’acharnent sur le vice terrassé, épuisent bientôt la patience la plus courageuse ; l’admiration survit à la sympathie. On aime à voir un esprit généreux se glorifier dans sa colère ; mais on voudrait plus de variété dans l’expression de l’indignation, si vertueuse qu’elle soit.

La satire didactique, dont Horace nous a laissé des modèles si parfaits, et que Boileau, chez nous, a su renouveler et rajeunir heureusement, est moins vive, mais plus variée, que la déclamation satirique. Dans le poète latin, elle est souvent voisine de la comédie. Elle se complaît dans l’anecdote, dans les portraits, dans l’analyse des caractères, comme pourraient le faire Plaute ou Molière. Elle sourit et s’égaie de son sourire ; elle a plus de malice que de colère, et préfère volontiers la raillerie à l’invective. Assurément, tous les hommes que l’éducation a rendus sensibles aux délicatesses du langage, au maniement ingénieux de la plaisanterie, à la finesse du dessin, ne se lasseront jamais de lire et de relire les satires d’Horace ; mais la satire qui s’asseyait à la table de Mécène est plutôt un enseignement qu’une attaque ; elle disserte, au lieu de frapper ; elle se propose moins de corriger le vice que de se proclamer supérieure à lui au nom du ridicule qu’elle lui inflige. La satire ainsi comprise devient un emploi élégant de la parole, un délassement de lettrés ; mais elle arrive difficilement à la puissance, au gouvernement de la société. Ce que je dis d’Horace, je pourrais le dire de Boileau. Le jugement porté sur le premier atteint naturellement le second ; le poète français, inférieur au poète latin en ce qui concerne le mouvement et l’originalité des pensées, lutte avec lui de précision et de propriété dans l’expression ; mais ces deux qualités, si précieuses, ne suffisent pas à dominer la foule. Boileau, comme Horace, son maître et son modèle, ne plaît et ne plaira jamais qu’aux lettrés. Il faut avoir lutté soi-même avec les difficultés de la langue, il faut avoir compté les promesses, les infidélités de l’expression, pour comprendre, pour estimer toute la valeur d’Horace et de Boileau. Ces deux poètes qui appartiennent à une civilisation très avancée, ne s’adressent pas directement à la famille humaine, mais à cette fa-