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des rues mobiles de la ville flottante que Glasgow renferme dans son sein, les mouvemens du petit navire, sans rien perdre de leur légèreté, devinrent plus doux et plus réguliers ; nous glissâmes rapidement entre les deux rives de la Clyde canalisée dans une partie de son cours, et présentant, sur l’une et l’autre de ses rives, de charmans paysages.

Ces paysages sont frais et variés ; de temps en temps l’œil découvre de belles villas : de jolies montagnes, suffisamment boisées pour ce pays où les arbres sont rares, les dominent à l’horizon ; mais ils ont surtout ce qui manque à beaucoup d’autres scènes de la nature, la vie. La Clyde qui les traverse et que remontent et descendent processionellement de nombreux navires, les railways qui aboutissent à ses rives, les hautes cheminées à vapeur qui, comme des obélisques à la tête flamboyante, s’élèvent aux environs de chaque hameau, et dont trois ou quatre au moins, de dimensions plus ou moins colossales, apparaissent toujours fumantes à l’horizon de chacun de ces paysages ; l’industrie, en un mot, voilà ce qui les anime et les fait vivre ; c’est l’ame de ce grand corps.

Le soleil brillait déjà de tout son éclat, lorsque le steamer glissa le long de la paroi méridionale du noir rocher qui couronne le vieux château de Dumbarton. Sir Thomas, qui avait tranquillement sommeillé depuis son départ de Glasgow, sortit en ce moment de la cabine, poussé, non par son goût pour le pittoresque, mais par ce mouvement physique de l’estomac vide qui chasse l’ours de sa caverne et le loup de la forêt, par le besoin et l’espoir d’un bon déjeuner.

— John, le déjeuner est-il prêt ? dit-il en apostrophant le cuisinier.

Yes, sir.

— Qu’on serve donc sur le pont. L’air est frais, la matinée est belle, et la tente nous garantira du soleil, s’il venait à trop chauffer. Qu’en dites-vous, messieurs ?

La motion de sir Thomas fut appuyée et votée à l’unanimité.

Le bonnet de dentelles blanches qui couvrait encore le haut de la tête du Ben Lomond, venait de se cacher derrière un rang de montagnes plus voisines, quand nous commençâmes notre déjeuner en avalant quelques douzaines d’huîtres de Leith, arrivées le matin même d’Édimbourg à l’instant de notre départ, c’est-à-dire aussi fraîches que des huîtres de Dieppe mangées à Rouen, mais je ne dirai pas aussi bonnes. Puis on attaqua le poisson bouilli et grillé, les viandes rouges et succulentes, et l’on arrosa le tout de thé, de vin ou de café, selon les goûts.

Pendant une grande partie du jour, nous cheminâmes dans le firth de la Clyde et dans les détroits qui séparent l’île de Bute du continent, les kyles de Bute, détroits romantiques et pittoresques, mais monotones comme tout ce qui est pittoresque et romantique une journée durant. Le soleil s’abaissait, et les ombres des montagnes s’allongeaient d’une rive à l’autre du Loch Fine, lorsque Kitty doubla la pointe de Lamont. Nous dînâmes en longeant les côtes solitaires de la presqu’île de Cantire, et c’était vraiment ce que