Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

puisse librement se déployer. Ni la grace virgilienne du Pianto, ni la gravité philosophique de Lazare, n’ont trouvé grace devant l’opinion ignorante. M. Barbier s’était posé comme poète satirique, il devait demeurer à tout jamais ce qu’il avait été d’abord. Pourquoi tenter des voies nouvelles et ne pas se renfermer dans sa première manière ? Pourquoi ne pas marcher en pleine confiance vers le but que lui désignaient d’unanimes suffrages ? Sa part n’était-elle pas assez belle pour qu’il dût s’en contenter ? C’est à ces questions que nous voulons répondre.

Le sujet des Iambes est heureusement choisi, nous nous hâtons de le reconnaître ; mais le sujet, si riche qu’il soit, n’eût été entre des mains vulgaires qu’une matière stérile. Pour découvrir et mettre en œuvre tous les trésors de cette mine féconde, il fallait plus qu’un ouvrier, plus qu’un lapidaire, il fallait un artiste éminent, et M. Barbier n’est pas demeuré au-dessous de sa tâche. Entre ses Iambes, il en est trois que l’opinion générale a distingués dès le premier jour, la Curée, l’Idole et la Popularité ; et l’opinion plus sévère et plus dédaigneuse des hommes lettrés, des hommes qui font profession d’étudier ou de pratiquer la poésie, s’est ralliée à l’opinion générale. La foule qui se presse dans nos théâtres, qui court aux scènes sanglantes de nos boulevards, comme le peuple romain courait aux combats de gladiateurs, sait à peine que M. Barbier a écrit un iambe comparable, pour l’énergie et la grandeur, à la Curée, à l’Idole, à la Popularité, je veux parler de Melpomène ; mais la critique, chargée de défendre les lois du goût et du bon sens, doit par reconnaissance signaler à l’admiration l’iambe de Melpomène. Le point de vue où se place M. Barbier n’est pas le nôtre ; nous avons toujours séparé, nous séparerons toujours les lois morales et les lois poétiques ; mais quelle que soit la mutuelle indépendance du devoir et de la poésie, la poésie, en méconnaissant le domaine du devoir, méconnaît son propre domaine ; dès qu’elle abandonne la région des sentimens pour la région des sens, le théâtre idéal pour le théâtre matériel, elle se condamne à la médiocrité ; dès qu’elle préfère les luttes musculaires aux luttes de la conscience, elle oublie sa mission et n’est plus qu’un exercice indigne d’occuper les esprits élevés. M. Barbier a le mérite d’avoir flétri les débauches dramatiques de notre temps, et ce mérite ne peut être méconnu sans ingratitude.

Cependant nous concevons très bien que la Curée, l’Idole et la Popularité aient obtenu la préférence sur Melpomène ; car les trois idées personnifiées dans ces iambes vengeurs sont, par leur nature, plus