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au duc de Wellington fut une fausse démarche de la part du roi, qui, dans le désir de secouer le joug des whigs, oublia sa prudence habituelle. Les tories le savent si bien, qu’ils essaient maintenant de disculper sir Robert Peel, leur infaillible pontife, de toute participation à cette démarche. Il savait très bien, disent-ils, qu’il était appelé au ministère dans un moment très défavorable ; mais il ne pouvait pas abandonner le roi et le parti qui avait remis ses destinées entre ses mains. Cette version ne me semble pas très plausible. Peel et ceux qui ont agi avec lui avaient depuis si long-temps l’habitude d’en appeler aux craintes des classes riches ; ils avaient si long-temps déclamé contre les rapides progrès de la révolution et les dangers dont elle menaçait tous les intérêts vitaux du pays, qu’ils avaient fini par être en quelque sorte dupes de leur imagination. Je ne puis m’empêcher de croire que sir Robert espérait que le seul déploiement de sa bannière rassemblerait autour de lui toute la partie influente de la population, tous ceux qui avaient quelque chose à perdre par l’anarchie, dont il évoquait tous les jours le fantôme. Je soupçonne qu’il fut bien trompé en voyant que son arrivée au pouvoir n’élevait pas le cours des fonds, que l’industrie nationale ne paraissait délivrée d’aucun embarras, que son avénement, au contraire, avait excité un sentiment général d’inquiétude. Il s’exagérait aussi beaucoup la désunion du parti opposé. Il ne savait pas encore ce que deux années d’expérience nous ont démontré, que, lorsque une nation ou une assemblée est divisée en deux partis bien définis, mieux ces deux partis se balancent mutuellement, plus les membres de ces deux partis sont étroitement unis entre eux. Le vote de chacun est connu et épié, et la honte de la défection politique, surtout en Angleterre où elle est plus flétrissante que partout ailleurs, domine dans tous les esprits la crainte ou l’intérêt qui pourrait les porter à passer dans un autre camp.

En second lieu, Peel aurait-il dû dissoudre le parlement sans aucune épreuve préalable ? Il est facile d’attaquer sa conduite sous ce rapport. Quand Pitt fut élevé au ministère par George III, en 1783, en opposition directe à la majorité de la chambre des communes, il ne se décida pas à la dissolution ; il subit quatorze épreuves défavorables. Pendant ce temps, le roi et les lords usèrent, pour le soutenir, de toute leur influence. Ce ne fut qu’après avoir fatigué la vigueur de ses antagonistes et réduit presque à rien la majorité, qu’il se décida pour la dissolution ; et il obtint, dans le nouveau parlement, un énorme accroissement de force. Si Peel eût suivi la même