Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/552

Cette page a été validée par deux contributeurs.
548
REVUE DES DEUX MONDES.

tait jamais. Il ne gagnait aucun ami, mais il n’exaspérait aucun ennemi, et s’efforçait toujours, sans même le dissimuler assez, d’arracher à ses adversaires l’éloge de sa modération et de sa loyauté. Différens de caractère et d’âge, on pourrait voir en eux, quoique la lutte fût soutenue par d’autres moyens, l’Antoine et l’Octave de la république britannique. Mais tandis que, selon Plutarque, le génie de l’Antoine romain se décourageait devant celui de son rival, dans le sénat anglais, c’était le jeune César qui se sentait subjugué par Antoine. Peel, en effet, se sentait inférieur à Canning ; et c’était là, nous le craignons, tout le secret de son hostilité envers son collègue, qu’il cherchait à supplanter avec une rare habileté.

Mais quand la mort de cet illustre homme d’état eut affranchi Peel d’un rival trop puissant, ses remarquables talens commencèrent à se développer, et bientôt il en eut le plus grand besoin, car, après que le bill de l’émancipation catholique eut été adopté, grace à ce changement d’opinion dont nous parlions tout à l’heure, il fut chaque jour attaqué avec une extrême violence par le parti qu’il venait de trahir ; et l’habitude constante de la défense personnelle donna à son langage une énergie et un enthousiasme qu’il n’avait jamais connus auparavant. Vint ensuite le bill de la réforme, et avec lui la lutte désespérée entre les vieilles choses et les choses nouvelles, entre les intérêts et les préjugés se heurtant violemment les uns contre les autres ; elle donna de l’éloquence à beaucoup d’hommes qui jusque-là n’en avaient pas jeté la moindre étincelle, et fournit de nouveaux alimens au génie qui avait déjà commencé à illuminer d’un éclat merveilleux la scène de nos débats civils. Enfin, quand M. Brougham eut été promu à la pairie, sir Robert Peel se vit délivré du dernier de ses rivaux dans la chambre des communes, où s’établit alors son incontestable supériorité.

Et cette supériorité, il l’a gardée entière jusqu’à ce jour. On dit souvent, en Angleterre, que le talent oratoire a diminué sur les bancs des communes depuis la réforme : je ne le crois pas. Nous avons moins de parleurs melliflus, moins de rhétoriciens classiques, moins d’élégance factice, mais, je crois, plus de véritable éloquence. Cependant la réforme n’a pas encore suscité de rival à sir Robert Peel. Voyez-le se lever dans la chambre des communes ; il ne parle pas encore, et déjà, par une sorte d’intuition, vous sentez l’homme qui attire à lui, d’une irrésistible force, tout l’intérêt de cette puissante assemblée. C’est à lui que les défenseurs des ministres adressent leurs apologies ou leurs explications ; c’est lui qu’ils interpellent fré-