Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 11.djvu/546

Cette page a été validée par deux contributeurs.
542
REVUE DES DEUX MONDES.

brillans compagnons du Lézard, sortant d’une tente fermée jusque-là, parurent en phalange carrée, ayant en tête les musiciens vêtus des costumes grotesques des anciens temps, et au centre leur chef Valerio. Ils s’avancèrent en bon ordre jusqu’en face du doge et des sénateurs. Là, les rangs s’ouvrirent, et Valerio, prenant des mains du porte-étendard la bannière de satin rouge, sur laquelle étincelait le lézard d’argent, se détacha de la troupe, et vint saluer, un genou en terre, le chef de la république. Il y eut un murmure d’admiration à la vue de ce beau jeune homme, dont le costume, étrange et magnifique, faisait ressortir la taille élégante et gracieuse. Il était serré dans un justaucorps de velours vert à larges manches tailladées, et ouvert sur la poitrine pour laisser voir un corselet d’étoffe de Smyrne à fond d’or, semé de fleurs de soie admirablement nuancées : il portait sur la cuisse gauche l’écusson de la compagnie, représentant le lézard brodé en perles fines sur un fond de velours cramoisi ; son baudrier était un chef-d’œuvre d’arabesques, et son poignard, enrichi de pierreries, était un don de messer Tiziano, qui le lui avait rapporté d’Orient ; une superbe plume blanche, attachée par une agrafe de diamans à sa barrette, pendait en arrière jusque sur sa ceinture, et se balançait avec souplesse à chacun de ses mouvemens, comme l’aigrette majestueuse que le faisan de Chine couche et relève avec grâce à chaque pas.

Un instant, la joie d’un tel succès et le naïf orgueil de la jeunesse brillèrent sur le front animé du jeune homme, et ses regards étincelans errèrent sur les tribunes, et surprirent tous les regards attachés sur lui. Mais bientôt cette joie fugitive fit place à une sombre inquiétude ; ses yeux cherchèrent de nouveau, avec anxiété, quelqu’un dans la foule, et ne l’y trouvèrent pas. Valerio étouffa un soupir et rentra dans sa phalange, où il demeura préoccupé, insensible à la gaieté des autres, sourd au bruit de la fête, et le front chargé d’un épais nuage : Francesco, malgré la parole qu’il avait donnée de présenter lui-même l’étendard au doge, n’avait pas paru.


George Sand.


(La troisième partie au prochain numéro.)