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inconsolable d’une telle mortification. Il assembla donc ses élèves favoris, Marini, Coccato et deux autres ; il leur peignit la situation d’esprit de Francesco, et celle de toute l’école, en face de l’opinion publique. Il les supplia de faire comme lui, de ne pas désespérer, de ne renoncer ni au travail, ni au plaisir, et de rester debout jusqu’à ce que tout fût mené à bien, fallût-il périr de fatigue le lendemain de la Saint-Marc. Tous firent serment avec enthousiasme de le seconder sans relâche, et ils tinrent parole. Pour ne pas inquiéter Francesco, qui s’affligeait toujours du peu de soin que Valerio prenait de sa santé, on masqua par des planches la partie à laquelle il renonçait à mettre la dernière main, et on y travailla toutes les nuits. Un léger matelas fut jeté sur l’échafaud, et lorsqu’un des travailleurs cédait à la fatigue, il s’étendait dessus et goûtait quelques instans de sommeil, interrompu par les chants joyeux des autres et le craquement des planches sous leurs pieds. Ils prenaient tous leur peine en gaieté, et prétendaient n’avoir jamais mieux dormi qu’au bercement de l’échafaudage et au bruit du battoir. L’inaltérable gaieté de Valerio, ses belles histoires, ses folles chansons, et la grande cruche de vin de Chypre qui circulait à la ronde, entretenaient une merveilleuse ardeur. Cette ardeur fut couronnée de succès. La veille de la Saint-Marc, comme la journée finissait, et que Francesco, pour ne pas avoir l’air d’adresser un reproche muet à son frère, affectait une résignation qui était loin de son ame, Valerio donna le signal. Les élèves enlevèrent les planches, et le maître vit le feston et les beaux angelots qui le soutiennent terminé comme par enchantement.

— Ô mon cher Valerio, s’écria Francesco, transporté de joie et de reconnaissance, n’ai-je pas été bien inspiré de donner des ailes à ton portrait ? N’es-tu pas mon ange gardien, mon archange libérateur ?


— Je tenais beaucoup, lui dit Valerio en lui rendant ses caresses, à te prouver que je pouvais mener de front les affaires et le plaisir. Maintenant, si tu es content de moi, je suis payé de ma peine ; mais il faut embrasser aussi ces braves compagnons qui m’ont si bien secondé, et qui, par là, se sont tous rendus dignes de la maîtrise ; c’est à toi de choisir, je ne dis pas le plus habile, ils le sont tous également, mais le plus ancien en titre.

— Mes bons et chers enfans, leur dit Francesco, après les avoir tous cordialement embrassés, vous aviez tous fait naguère le généreux sacrifice de vos droits et de vos désirs en faveur d’un jeune