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véritable échec, et compromettait sérieusement le succès des efforts inouis qu’on avait faits jusqu’à ce jour pour n’être point dépassé par l’école rivale.

ix.

Les Bianchini ne furent pas longs à s’apercevoir de l’absence du Bozza, et de la tristesse de Valerio. Vincent raconta, avec un rire brutal, son artifice de la veille à ses deux frères, et tous trois, encouragés par ce premier succès, résolurent de tout mettre en œuvre pour nuire aux travaux de la grande coupole, et pour perdre les Zuccati. Après qu’ils eurent tenu conseil au cabaret, Vincent se remit sur la piste du Bozza, et le découvrit, à l’entrée de la nuit, dans les grands vergers qui s’étendent le long des lagunes au faubourg de Santa-Chiara. Le Bozza côtoyait lentement une haie verdoyante entrecoupée de beaux arbres fruitiers qui se penchaient avec amour sur les ondes paisibles. Un silence profond régnait sur cette cité bocagère, et les dernières rougeurs du couchant s’éteignaient au loin sur le clocher rustique de l’île de la Certosa. De ce côté, Venise a la physionomie aussi naïve et aussi pastorale, qu’elle est coquette, fière ou terrible en d’autres sites. On n’y voit aborder que des barques pleines d’herbes ou de fruits ; on n’y entend d’autre bruit que celui du râteau dans les allées, ou du rouet des femmes assises au milieu de leurs enfans sur le seuil des serres ; les horloges des couvens y sonnent les heures d’une voix claire et féminine, dont rien n’interrompt la longue vibration mélancolique. C’est là qu’en d’autres jours le chantre de Childe-Harold vint souvent chercher le sens de certains secrets de la nature ; grâce, douceur, charme, repos, mots mystérieux, que la nature, impuissante ou impitoyable à son égard, lui renvoyait traduits par ceux de langueur, tristesse, ennui, désespoir. Là, le Bozza, insensible aux bénignes influences d’une soirée délicieuse, était absorbé par le vol rapide et les combats acharnés des grands oiseaux de mer, qui, à l’heure du soir, se disputaient leur dernière proie, ou se pressaient de rejoindre leurs retraites mystérieuses. Ces spectacles de lutte et d’inquiétude étaient les seuls qui lui fussent sympathiques. Partout le vaincu lui semblait une personnification de ses rivaux ; et quand le vainqueur poussait dans les airs son cri de rage et de triomphe, le Bozza croyait se sentir monter sur ses larges ailes vers le but de ses insatiables désirs.

Le Bianchini l’aborda en jouant la franchise, et après lui avoir dit