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lieu de tant de ruines ? Les hommes, placés sur le haut de l’échelle par les grandes lumières, ont vu cette époque à la clarté que jetait sur elle la majesté des Écritures… La nature l’a confiée à ses observateurs ; les sciences s’en sont doutées ; la politique, couverte de honte, l’a pressentie dans ses chutes…

« Oui, tous, soit en jouissant de ce grand secret, encore voilé comme Isis, soit en tremblant de crainte que le voile des temps ne se déchirât, tous ont eu l’espoir ou la terreur de cette époque…

« Quel cœur, en voyant tout cela, n’a pas aussi battu pour vous, ô France ! jadis si grande, et qui ressortirez plus grande encore de vos désastres ! France, qui avez voulu exiler de vos conseils le Tout-Puissant, et avez vu des bras de chair, quoique appuyés sur des empires, tomber d’épouvante et redevenir impuissans !

« Dites aux peuples étonnés que les Français ont été châtiés par leur gloire même ; dites aux hommes sans avenir que la poussière qui s’élève retombe pour être rendue à la terre des sépulcres !

« Et vous, France première, antique héritage des Gaules, fille de saint Louis et de tant de saints qui attirèrent sur elle des bénédictions éternelles, et pensée de la chevalerie, dont les rêves ont charmé l’univers, revenez tout entière, car vous êtes vivante d’immortalité ! Vous n’êtes point captive dans les liens de la mort, comme tout ce qui n’a eu que le domaine du mal pour régner ou pour servir. »

Et elle finit en montrant la croix laissée dans ces lieux comme un autel magnifique qui doit tout rallier et qui dira : « Ici fut adoré Jésus-Christ par le héros et l’armée chère à son cœur ; ici les peuples de l’Aquilon demandèrent le bonheur de la France. »

Ces pages expriment clairement en quel sens Mme de Krüdner concevait et conseillait la sainte-alliance ; mais ce qui était son rêve, ce qui fut un moment celui d’Alexandre, se déconcerta bientôt et s’évanouit en présence des intérêts contraires et des ambitions positives, qui eurent bon marché de ces nobles chimères. L’espèce de triomphe de Mme de Krüdner au camp de Vertus marqua le plus haut point, et, pour ainsi dire, le sommet lumineux de son influence. On s’en effraya sérieusement, on s’efforça de l’éloigner de l’empereur, et de faire en sorte qu’il la vît moins. Lorsque Alexandre eut quitté la France, Mme de Krüdner déclina rapidement dans son esprit ; cette vénération pieuse qu’il ressentait pour elle finit par l’aversion, par la persécution même.

Ceux qui croient sérieusement à l’intervention de la Providence dans les choses de ce monde ne doivent pas juger avec trop de sou-