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REVUE. — CHRONIQUE.

enlèvent à un quart de lieue tout officier, tout soldat qui se hasarde à sortir, en tuent sur les remparts, et forcent à faire chaque fois de véritables expéditions pour renouveler la provision d’eau et de fourrage. Si ces faits n’étaient pas attestés par des témoins oculaires d’une bonne foi et d’une impartialité incontestables, on se refuserait à les croire, et cependant rien de plus vrai. Les Circassiens savent en outre que l’Europe a les yeux fixés sur eux ; des Anglais pénètrent dans leurs montagnes, et, chose étrange, leur lisent le Portfolio. L’année dernière, au mois d’août, le comte de Woronzow, gouverneur de la Russie méridionale, en a trouvé des exemplaires dans la forteresse d’Anapa, où quelques Circassiens de l’intérieur les avaient apportés pendant une trêve, disant que les Anglais répandaient cette publication dans leur pays, leur en faisaient connaître le but, et les encourageaient à se défendre. Aussi se défendent-ils. Les Russes ne gagnent un pouce de terrain qu’au prix des plus grands efforts ; les tribus dépossédées sont accueillies par les autres, qui leur bâtissent de nouvelles demeures et leur remplacent les troupeaux enlevés. Un seul prince de la côte s’était déclaré en faveur des Russes ; il a été contraint de renoncer à leur alliance par des menaces terribles dont il savait bien qu’il n’aurait pas long-temps attendu l’effet. Voilà, pour le moment, où en sont les Russes, et il paraît que tout récemment la prise de possession d’un point du littoral leur a coûté une sanglante bataille. Triompheront-ils de cette héroïque résistance ? Oui, sans doute, à la longue, par une guerre d’extermination, et si l’empereur Nicolas ne calcule ni le sang, ni les trésors qu’il faudra enfouir dans ces montagnes, pour être maître de toute l’étendue de pays qui sépare la mer Caspienne de la mer Noire.

C’est pourquoi nous ne comprenons pas que ce prince, avec de si grands desseins et une si rude tâche au midi et au sud-est de son empire, attache tant d’importance à éblouir l’Europe occidentale par ses fastueuses revues. Et néanmoins voilà ce qui le préoccupe. Il a fait toute une campagne diplomatique pour avoir à Wosnesensk des représentans de chaque maison régnante d’Allemagne. Mais il n’a réussi qu’imparfaitement. Au lieu de l’empereur d’Autriche, qu’il avait la prétention d’y attirer et d’y écraser sous ce vaste déploiement de sa puissance militaire, ce sera un archiduc, l’archiduc Jean, si je ne me trompe. Un prince de Prusse et un prince de Wurtemberg y assisteront aussi ; mais la famille royale de Bavière n’y sera pas représentée. Il y a, ce semble, dans tout ce spectacle offert à l’Europe et si pompeusement annoncé, moins de véritable grandeur que de vanité inquiète, et on est embarrassé de concilier cette prétention d’agir sur l’Occident par de tels moyens, avec la tendance, qui se manifeste aussi quelquefois et revient plus vive à chaque mécompte, de s’en séparer absolument, de s’en passer sous tous les rapports, de n’être que russe, asiatique et oriental. Le fait est que ces deux tendances contradictoires se balancent encore dans l’esprit de l’empereur Nicolas et dans son gouvernement ; que chacune l’emporte à son tour, quand l’autre a été malheureuse, et que néanmoins, pour assurer la grandeur de la Russie, il faudrait les harmoniser avec intelligence, en se dégageant des passions et des faiblesses qui obscurcissent trop souvent la haute raison du souverain.

Et qu’a-t-on dit du roi de Hanovre dans ces causeries de Tœplitz ? A-t-on approuvé ou blâmé son coup d’état ? S’est-on promis de le soutenir au besoin