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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

« Son corps délicat est une fleur que le plus léger souffle fait incliner, et son ame forte et courageuse braverait la mort pour la vertu et pour l’amour.

« Non, poursuivis-je, la beauté n’est vraiment irrésistible qu’en nous expliquant quelque chose de moins passager qu’elle, qu’en nous faisant rêver à ce qui fait le charme de la vie, au-delà du moment fugitif où nous sommes séduits par elle ; il faut que l’ame la retrouve quand les sens l’ont assez aperçue.

« Tu le sais, mon ami, écrit Gustave, j’ai besoin d’aimer les hommes ; je les crois en général estimables, et si cela n’était pas, la société depuis long-temps ne serait-elle pas détruite ? L’ordre subsiste dans l’univers, la vertu est donc la plus forte. Mais le grand monde, cette classe que l’ambition, les grandeurs et la richesse séparent tant du reste de l’humanité, le grand monde me paraît une arène hérissée de lances, où, à chaque pas, on craint d’être blessé ; la défiance, l’égoïsme et l’amour-propre, ces ennemis nés de tout ce qui est grand et beau, veillent sans cesse à l’entrée de cette arène et y donnent des lois qui étouffent ces mouvemens généreux et aimables par lesquels l’ame s’élève, devient meilleure, et par conséquent plus heureuse. J’ai souvent réfléchi aux causes qui font que tous ceux qui vivent dans le grand monde, finissent par se détester les uns les autres, et meurent presque tous en calomniant la vie. Il existe peu de méchans ; ceux qui ne sont pas retenus par la conscience, le sont par la société ; l’honneur, cette fière et délicate production de la vertu, l’honneur garde les avenues du cœur et repousse les actions viles et basses, comme l’instinct naturel repousse les actions atroces. Chacun de ces hommes séparément, n’a-t-il pas presque toujours quelques qualités, quelques vertus ? Qu’est-ce qui produit donc cette foule de vices qui nous blessent sans cesse ? C’est que l’indifférence pour le bien est la plus dangereuse des immoralités !… »

On le voit, Mme de Krüdner, en substituant ici son expérience à celle de Gustave, s’exprime déjà dans cette page avec le sérieux de ses prédications futures. Elle y dénonce la plaie qui n’est pas seulement celle du grand monde, mais du monde entier, cette vieille plaie de Pilate, que Dante punissait par l’enfer des tièdes, et que, de nos jours, tant de novateurs généreux, à commencer par elle, se sont fatigués à insulter.

Le style de Valérie a, comme les scènes mêmes qu’il retrace, quelques fausses couleurs de la mode sentimentale du temps. Je ne saurais aimer que le comte envoie, pour le tombeau de son fils, une belle