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gineraient que nous sommes faits pour expier leurs péchés. Allons, Bartolomeo, tu en seras aussi, je vais te faire inscrire ; cela t’occasionnera un peu de dépense. Si tu n’as pas d’argent, j’en ai, moi, et je prends tout sur mon compte. À revoir, chers amis, à demain. Frère bien-aimé, tu ne diras pas que je n’écoute pas tes conseils avec le respect qu’on doit à son aîné. Allons, avoue que tu es content de moi !

En parlant ainsi, Valerio sauta légèrement sur la rive du palais ducal, et disparut sous les ombres fuyantes de la colonnade.

v.

Ce même soir, vers minuit, le Bozza revenant de chez sa maîtresse, triste et soucieux plus que jamais, ennuyé de l’amour, ennuyé du travail, ennuyé de la vie, marchait à grands pas sur la rive solitaire. Un vent d’orage s’était élevé, le flot battait les quais de marbre, et des voix mystérieuses semblaient murmurer des paroles de haine et de malédiction sous les noires arcades des vieux palais.

Il se trouva tout à coup en face d’un homme dont le pas lourd et retentissant n’avait pu le distraire de sa rêverie. À la lueur d’un fanal attaché à un pieux d’amarrage, le Bozza et l’autre promeneur nocturne se reconnurent, et, s’arrêtant en face l’un de l’autre, se toisèrent de la tête aux pieds ; Bartolomeo, pensant que cet homme pouvait bien avoir quelque mauvais dessein, mit la main sur son stylet ; mais, contre son attente, Vincent Bianchini (car c’était lui) porta la sienne à son bonnet et l’accosta avec courtoisie.

Vincent était, comme son frère Dominique, un rude compagnon et un méchant homme. Moins brutal en apparence et capable, malgré son peu d’éducation, d’affecter d’assez bonnes manières, profondément rusé, rompu au mensonge par suite des accusations infamantes qu’il avait subies devant le conseil des dix, il était certainement le plus dangereux des trois Bianchini.

— Messer Bartolomeo, dit-il, je viens d’un endroit où je croyais vous rencontrer, et où je suis fort aise que vous n’ayez pas eu, comme moi, la curiosité de vous glisser furtivement.

— Je ne sais pas ce que vous voulez dire, messer Vincenzo, répondit le Bozza en s’inclinant et en essayant de passer outre.

Vincent mesura son pas sur celui de Bozza, sans paraître s’apercevoir du désir qu’il avait de l’éviter.

— Vous savez sans doute, dit-il, que les principaux membres de